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l’occupation politique du pays par la Russie. Ces explorateurs ne peuvent être considérés que comme des particuliers ayant fait œuvre scientifique, et leurs voyages, pas plus que ceux des Français par exemple, ne peuvent constituer un prétexte à l’annexion de ces contrées par des puissances autres que la Russie.

Les droits politiques de celle-ci comme héritière du khanat de Kokan paraissent décisifs : elle est fondée à prétendre que les nomades, sujets ou vassaux de ce khanat, ont depuis de longues années joui paisiblement pendant l’été des pâturages du Pamir.


IV

Si maintenant nous considérons, non plus la priorité dans l’exploration purement géographique, mais la conquête politique, nous voyons que le premier avantage a été obtenu par la Russie. Les explorations scientifiques exécutées sur le Pamir par des missionnaires appartenant à cette nation ont toujours été suivies, presque simultanément et à bref délai, d’expéditions militaires décisives, ayant une solide base d’opérations dans la riche province du Ferganah et dans tous ces territoires du Turkestan, si vite conquis et si solidement occupés par les armes russes.

L’Angleterre, insuffisamment prête, a bien essayé de retarder les progrès de la Russie et de gagner du temps sans entrer elle-même en lice : pour cela elle a, depuis 1880 jusqu’en 1890, poussé en avant les Afghans, le seul précisément des quatre peuples limitrophes du Pamir qui n’eût guère intérêt à en faire la conquête et qui ne fût pas sérieusement outillé pour l’entreprendre. Car cette conquête, laborieuse, coûteuse et stérile, ne peut donner aucun bénéfice direct : elle n’a qu’un intérêt de politique internationale entre les grandes puissances. Or, dans le concert général des grandes puissances européennes, le rôle de l’Afghanistan est aujourd’hui, on peut le dire sans faire en aucune façon injure à ce royaume, des plus effacés. Néanmoins l’émir d’Afghanistan, Abd-ur-Rahman-Khan, souverain d’un peuple belliqueux et énergique, se sentant hors d’état de lutter contre des voisins aussi puissans et aussi solidement appuyés par la civilisation moderne et par la politique générale de l’Europe que le sont aujourd’hui l’Inde, la Russie, la Chine et la Perse, a donné libre carrière aux tendances militaires et conquérantes de son peuple du seul côté où les grands empires voisins lui en laissaient la liberté, c’est-à-dire du côté des montagnes du nord-est. L’émir, malgré ses velléités d’indépendance et de résistance à l’Angleterre sur d’autres points, malgré la haine intime qu’il nourrit certainement à l’égard des