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son royaume, qui, dès la fin de 1877, avait été entièrement reconquis par les Chinois. Sir Douglas Forsyth détacha le major Biddulph pour rechercher, au Yassine et au Kafiristan, les responsabilités de l’assassinat d’Hayward : cet officier explora le Petit-Pamir, tandis que le colonel Gordon, le même qui devait plus tard être Gordon-Pacha, accompagné de M. Chapman, explorait le Grand-Pamir et revoyait de nouveau le lac Victoria. Ces deux expéditions, après s’être rejointes, retrouvèrent ensuite en Kachgarie la mission de sir Douglas Forsyth et rentrèrent avec elle dans l’Inde. Mais ces différentes reconnaissances, dont la première au moins a eu la priorité sur les premières expéditions russes, ne pouvaient être considérées comme les préludes d’une annexion politique. En effet, les Anglais ne pouvaient faire valoir aucun droit de souveraineté sur les diverses petites principautés indépendantes qui se partageaient alors ces contrées, et l’Inde en était séparée par plusieurs autres États également indépendans, ainsi que par un labyrinthe de bassins fluviaux enchevêtrés et de chaînes de montagnes énormes, dont la géographie demeurait inconnue, et dont la traversée présentait d’immenses difficultés. Il ne pouvait être question alors de rien de semblable à une annexion de ces petits États par l’Angleterre.

Quant aux Russes, qui, il y a trente ans, étaient encore bien loin de ces régions, la magnifique conquête du Turkestan, si complète et si rapide, les porta en peu d’années, de 1864 à 1871, des bords de la mer d’Aral jusqu’au pied du Pamir. Dès 1871, l’éminent naturaliste Fedtchenko s’avançait sur le Pamir même et y faisait des découvertes de premier ordre. Il traversait les monts Alaï, pénétrait dans la vallée du même nom et découvrait la grande chaîne du Transalaï, dont les deux points culminans, le pic de Kauffmann et le Kizil-Aguine, mesurent l’un 7100 et l’autre 6600 mètres.

Les droits politiques de la Russie s’affirmaient par la conquête du khanat de Kokan, dont les nomades du Pamir se reconnaissaient depuis fort longtemps comme les sujets ou les vassaux. En 1876, Skobeleff, après avoir en quelques semaines conquis la plaine centrale du khanat de Kokan, qui devenait une province russe sous le nom historique de Ferganah, exécutait une expédition militaire dans la partie septentrionale du grand massif montagneux lui-même. Il franchissait l’Alaï, avec sa cavalerie et son artillerie, par le col de Taldik ; il faisait prisonnière la célèbre Kourbane-Djane, connue sous le nom de dakhtcha ou reine des Kirghises, et recevait l’hommage des chefs de tous les nomades du Pamir, autrefois vassaux du khan de Kokan. En même temps, le colonel