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aujourd’hui, par suite du dessèchement atmosphérique de la région, n’a plus d’écoulement, mais qui autrefois donnait naissance à deux rivières.

Dans une autre hypothèse, ce serait plus au sud, à 400 kilomètres de là, qu’il faudrait chercher l’emplacement de l’Eden. Ce serait la vallée du Ouakhan, appelée aussi Petit-Pamir, celle-là même qui fait l’objet du point principal de la future contestation de frontière entre les Anglais et les Russes, qui serait le lieu tant cherché.

On conçoit combien les Anglais, défenseurs patentés et fervens adeptes de la Bible, doivent tenir à la possession de ce précieux coin du monde, encore que l’air y soit irrespirable et que la terre y soit couverte de neige pendant neuf mois de l’année. On conçoit combien doit être pénible à leur conscience l’idée de le laisser entre les mains d’ennemis schismatiques. Il y a même là un argument de premier ordre, auquel ils n’ont peut-être pas pensé, et qui s’ajoute aux argumens stratégiques dont il sera question plus loin. Je le leur livre. On a fait les Croisades pour moins que cela, ou du moins pour des souvenirs et des intérêts chronologiquement moins anciens, — moins élevés aussi, au sens matériel du mot, sinon au sens spirituel ; — et quant à l’intérêt politique, il était incontestablement moindre. Aussi l’Angleterre serait-elle certainement enchantée de voir d’autres puissances européennes faire contre la Russie les frais d’une croisade qui, en détournant ses efforts d’un autre côté, l’empêcherait d’affirmer d’une façon définitive sa possession sur le Petit-Pamir.

Dans l’hypothèse qui identifie le Ouakhan avec le Paradis terrestre, les quatre fleuves dont il est parlé dans la Genèse seraient alors : l’Indus, c’est-à-dire ses deux affluens le Hounza et le Yarkoun, qui, partant, de deux sources très voisines, divergent ensuite et transforment ainsi presque en île une vaste région ; le Tarim, qui serait le Phison, représenté non plus par le Kachgar-Daria, mais par une autre de ses branches, plus considérable encore, le Yarkend-Daria, qui coule vers l’est ; et, quant aux deux autres fleuves, coulant l’un vers le nord et l’autre vers l’ouest, ce seraient l’Ak-sou et le Pendj. Partant de deux sources extrêmement voisines, — la plupart des géographes les font même encore aujourd’hui, par une erreur très excusable, sortir d’un même lac, le Tchakinak-Koul, — ils se rejoignent après un long circuit pour former le Djihoun : ils coulent donc bien tout autour d’une vaste contrée, comme le dit le texte biblique, qui se trouve ici être étonnamment d’accord avec la géographie de ces régions encore inconnues des Européens il y a peu d’années.