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peut servir de modèle à nos gouvernans et à nos députés. La modestie de M. Dupuy s’offenserait si on le comparait à l’illustre Premier anglais, dont il n’a ni l’autorité, ni l’expérience ; mais les difficultés avec lesquelles le ministère libéral se trouve aux prises, en Angleterre, sont aussi beaucoup plus grandes que celles qui incombent au cabinet français.

Depuis dix-huit mois que M. Gladstone est aux affaires, il a dû tout sacrifier à l’Irlande. Pas une seule des réformes démocratiques ou sociales, composant ce qu’on nomme le programme de Newcastle, n’a pu être abordée jusqu’à la session complémentaire qui vient de s’ouvrir il y a quelques jours. Le résultat des efforts héroïques déployés pour obtenir aux Communes, le 1er septembre dernier, le vote du home rule, par 301 voix contre 267, était pourtant connu d’avance. Huit jours après, à la majorité de dix contre un, par 419 voix contre 41, les lords temporels et spirituels du Royaume-Uni rejetaient le bill. Ils n’avaient pas employé plus de trois séances à la discussion ; ce qui n’empêchait pas un noble pair de se plaindre qu’elle eût été écourtée dans l’enceinte voisine, où cependant elle avait duré près de neuf mois.

Si M. Gladstone a pu dire, dans le discours qu’il prononçait à Edimbourg, il y a six semaines, que le home rule, dans le cours de l’année prochaine, « flotterait de nouveau sur les flots, sous lesquels en ce moment il a paru sombrer », cette image un peu vague n’est de nature à tromper personne de l’autre côté du détroit ; le chef du cabinet n’a aucun moyen pour vaincre les répugnances de la Chambre haute, et il lui serait, non seulement périlleux, mais funeste sans doute, en ce moment, de recourir sur ce sujet à une sorte d’appel au peuple, sous la forme d’élections nouvelles qui suivraient une dissolution anticipée des Communes.

Le groupe irlandais de Westminster est bien forcé de s’en rendre compte ; M. John Redmond, le leader parnelliste, avait fait entendre que l’appui des 18 membres dont ce parti se compose ferait défaut au ministère si la question des tenanciers évincés n’était pas réglée avant la fin de l’automne, et si le home rule n’était pas remis sur le tapis en 1894. Devant le mauvais effet que ses menaces avaient produites sur ses amis eux-mêmes, il a dû protester de sa fidélité au ministère et déclarer que rien n’était plus éloigné de sa pensée qu’une défection qui ferait le jeu des conservateurs.

De leur côté, les libéraux anglais s’impatientent ; le public purement britannique n’est pas enthousiaste de la question irlandaise ; il n’a pas le moins du monde pris feu contre la Chambre des lords parce qu’elle avait repoussé le home rule bill. Pour donner une satisfaction immédiate à ce dernier parti, le cabinet s’est décidé à aborder la discussion