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l’Islam, le Caire est sa Rome par les souvenirs historiques et par l’université d’El-Azhar. Son influence religieuse s’étend sur deux continens, et toutes sortes de raisons destinent cette ville à devenir la capitale intellectuelle de la nouvelle Afrique. C’est pour cela, sans doute, que l’Égypte, tout en conservant un gouvernement autochtone, sera dirigée un jour par un conseil européen où les puissances intéressées seront proportionnellement représentées. L’Europe est en train de percer l’Afrique par tous les bouts. Elle pourra y régner par la poudre et par les chemins de fer. Mais, qu’elle se le dise bien, l’Islam y règne sur les âmes. Tant que nous n’aurons pas trouvé le chemin de la conscience musulmane, il y aura entre nous et la race d’Ismaël une barrière infranchissable. Les points d’attache avec la tradition judaïque et chrétienne ne manqueraient pas dans l’Islam. Mahomet n’a prétendu que restaurer la religion d’Abraham et a toujours parlé de Jésus comme d’un grand prophète. Dans un commentaire du Koran, Mouza (Moïse) est appelé l’allocuteur de Dieu, Issa (Jésus) est nommé l’esprit de Dieu, et Mahomet l’intercesseur. Il est vrai que l’Islam s’est montré jusqu’à présent impénétrable et réfractaire à l’esprit de l’Occident.

Mais l’Occident a-t-il suffisamment compris la raison d’être, l’utilité et la grandeur de l’Islam ? Que l’Européen apporte dans ses rapports avec le Musulman une compréhension plus profonde, une sympathie plus large, une justice doublée d’amour et d’abnégation, — et peut-être un jour le cœur d’Ismaël s’ouvrira-t-il. N’oublions pas, en attendant, que dans son immobilité, l’Arabe est resté l’éternel patriarche et le chevalier du désert. Il a pour lui la générosité et l’élégance. Souvenons-nous aussi que, si tous les hommes sont frères, toutes les grandes religions sont sœurs.

Je viens de regarder prier un Arabe devant le mirhab. Debout, les deux mains levées à la hauteur du front, la paume tournée vers les joues, il a d’abord lancé à haute voix ses syllabes gutturales. Puis, il s’est jeté la face contre terre et, se relevant sur ses genoux, il est resté longtemps comme abîmé dans sa contemplation. Adoration, humilité, résignation, ils sont simples et grands comme tout l’Islam, ces gestes de la prière musulmane instituée par le Prophète. Sur deux continens, ils marquent les pas du soleil par ces appels au Tout-Puissant. Mais l’ombre monte dans la cour de la mosquée et le bleu profond du ciel devient plus foncé. Il est temps de gagner la citadelle pour voir le Caire au coucher du soleil.

Bâtie par Saladin sur le dernier contrefort de la chaîne arabique, la citadelle aujourd’hui couronnée par la mosquée de Méhémet-Ali domine splendidement la ville. On l’aperçoit également bien