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question, qui n’y apportent aucune clarté, et qui demandent d’être traitées chacune à part.

Le point de vue où se plaçaient les premiers auteurs du Dictionnaire me paraît encore être le vrai : on ferait fausse route en accordant la première place à des motifs très dignes en eux-mêmes d’être pesés, mais qui ne doivent venir qu’en seconde ligne.

Commençons par les élèves des écoles. Qui n’aimerait de leur venir en aide ? Mais en voulant écarter quelques cailloux de leur chemin, prenons garde de leur creuser des fondrières ! Beaucoup des difficultés qu’on signale tiennent, ainsi qu’on l’a vu, au fond même de notre langue : mieux que cela, elles sont notre langue. Les idiomes sans passé ont une orthographe parfaitement régulière ; cela leur est facile. Mais les langues qui ont par derrière elles des siècles de littérature ne peuvent les jeter à la rivière ; elles en portent le poids en même temps que l’honneur.

Pour les élèves des écoles primaires la vraie solution a été indiquée par la circulaire de M. Léon Bourgeois : dans des examens destinés à constater un savoir élémentaire, il n’y a pas lieu d’attribuer à l’orthographe une importance qu’elle ne peut prendre sans faire tort à des connaissances plus utiles. À ce degré de l’instruction, les reproches qu’on lui adresse ont un fond de vérité. Avec de petits paysans de douze ou treize ans, cet appareil de règles est déplacé : appelons-les, si vous voulez, des chinoiseries ! Combattons ce préjugé spécial à notre pays, qui excuse moins aisément quelques mots estropiés qu’une absolue ignorance en géographie ou en calcul ! Mais il faudrait prendre garde d’intervertir les choses : ce serait aller trop loin, pour empêcher les manquemens à la règle, d’abolir la règle. Ou faudrait-il en croire quelques détracteurs de notre temps, qui veulent voir dans la guerre à l’orthographe une des formes de la mauvaise égalité ?

Puisqu’on invoque sans cesse l’intérêt de nos écoliers, il faut nous y arrêter encore quelques instans.

C’est par intérêt pour nos petits écoliers que je vote contre une transformation allant trop à fond. Se figure-t-on la situation où ils se trouveraient quand, au lieu d’une orthographe, ils auraient à en étudier deux, — l’ancienne et la nouvelle, — quand la pratique serait en désaccord avec la théorie, et leurs livres en contradiction les uns avec les autres ? Plus que jamais, j’en ai peur, il serait alors parlé de grammaire dans les classes. On ne peut espérer que nos cent mille maîtres et maîtresses d’école marcheraient du même pas. Je suppose qu’il ne serait pas aisé de leur faire enseigner tout à coup le contraire de ce qu’ils avaient considéré jusque-là comme la règle. En vain on citera les noms de quelques