Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/959

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vu un instant en face d’une perspective de guerre en Afrique ; ce qui, malgré l’enthousiasme militaire de la nation, eût été, vu l’état des finances, une vraie calamité nationale. Les Riffains, voisins de Melilla, ont prétendu empêcher les Espagnols de construire un fort sur le territoire qui, de par le traité de 1861, est en leur possession. Deux fois de suite ils ont détruit les premiers travaux à la faveur de la nuit ; une troisième fois ils sont accourus en plein jour et ont ouvert le feu avec des armes perfectionnées sur les soldats que la garnison a envoyés à la rescousse.

En Espagne, où les aspirations marocaines subsistent toujours très ardentes, et où l’opinion s’était grandement émue de l’injure faite au drapeau national, on ne parlait de rien moins que d’envoyer contre les Maures une expédition de trente mille hommes. L’affaire s’arrangera cependant cette fois encore, tout le fait supposer ; et le gouvernement de la régente, auquel ses préoccupations intérieures doivent suffire, pourra éviter une expédition nécessairement coûteuse et qui, au point de vue diplomatique, eût pu ne pas être sans péril.

Quels que soient les ennuis que les tendances vieillissantes à l’autonomie suscitent au-delà des Pyrénées, ils sont bien peu de chose en comparaison des problèmes nouveaux que posent à la monarchie austro-hongroise les antipathies mutuelles des nationalités dont elle se compose. D’un côté, cette agglomération de races, uniquement maintenues par l’autorité centrale qui les tient agrégées, ne peut demeurer possible que sous un gouvernement fort ; de l’autre, tout essai de vigueur de la part du cabinet de Vienne suscite des résistances qu’il n’ose pousser à bout, crainte de se jeter dans des embarras plus grands encore ; et il en est réduit à louvoyer, à gagner du temps. Selon le mot arabe, un jour de vie, c’est la vie… L’empereur d’Autriche a trop de couronnes.

Les prédécesseurs du comte Taaffe n’ont pas réussi dans l’œuvre de germanisation, parce que l’avènement graduel des peuples à la vie politique est dans la force des choses. Seulement, à mesure que l’on a fait à certaines races une place dans la représentation de l’empire, des populations qui sommeillaient se sont réveillées et revendiquent à leur tour leur part d’indépendance et d’autorité. Après les Polonais de Galicie et les Magyares de Hongrie, viennent les Tchèques de Bohême et les Roumains de Transylvanie. Demain ce sera le tour des Italiens du Trentin qui souffrent de leur union avec les Allemands du Tyrol et des Croates. Les ministres de l’empereur-roi flottent, indécis, entre la répression et la douceur. Pour le moment, c’est la répression qui a le dessus. Le procès des Roumains, à Klausenbourg, condamnés à des peines sévères pour la publication, déclarée illégale, d’un memorandum où ils avaient consigné leurs griefs ; la proclamation du petit état