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Je vais mourir ! Ma tâche est accomplie. Recevez, mes enfans, le dernier sacrement imposé par le pape Grégoire. Voici ma dernière joie et mon adieu au sacerdoce. Pia, placez votre main dans la main de Victorien.

Joachim l’aida à lever les bras sur les deux têtes inclinées ; il dit avec un grand amour :

— Au nom de la sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, je vous unis pour cette vie et pour la vie éternelle.

Alors il croisa les mains sur sa poitrine, ferma les paupières et se recueillit en Dieu.

Le jour touchait à sa fin. Le soleil s’inclinait sur la mer et pénétrait la chambre de rayons d’or. Les voix funèbres de la cathédrale s’étaient tues par degrés. On n’entendait plus que le vague concert de la terre et des ondes, des cris d’hirondelles noyées dans l’azur clair du ciel, le froissement des flots indolens sur les sables de la baie, des voix d’enfans qui jouaient dans les rues voisines du palais, une chanson de pêcheur, qui montait d’une barque voguant vers le port. Parfois une bouffée de brise apportait la senteur fraîche du golfe et le parfum des jardins tout en fleurs. Puis, le soleil se plongea dans la mer empourprée : son dernier rayon couronna d’une auréole le front chauve de Grégoire VII, qui expirait comme il l’avait souhaité, la face tournée du côté de Rome :

— Saint-père, priez pour nous ! murmura d’une voix tremblante le vieil évêque d’Assise.

Les chevaliers normands entrèrent d’un pas timide et formèrent au pied du lit une garde d’honneur. Les moines, tenant leurs cierges allumés, se rangèrent le long des murailles. Toute la nuit, ils veillèrent en profond silence sur la majesté pontificale. Au chevet du pape mort, les deux époux et Joachim demeuraient assis, immobiles et priaient tout bas. Vers le matin, comme le ciel pâlissait, Pia pencha sur Victorien sa tête charmante et s’endormit, couvrant l’épaule du jeune homme des boucles blondes de sa chevelure, ainsi qu’elle avait fait si souvent à Rome, en ses années d’enfance, au palais de Saint-Jean-de-Latran.


EMILE GEBHART.