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eu le temps d’organiser la résistance, le duc se dirigeait, à travers le Champ de Mars en flammes, vers le pont du Tibre et le môle d’Adrien. Il balayait, presque sans coup férir, les abords du château. Le pont-levis s’abaissa, et quelques minutes plus tard, l’étrange chevalier qui avait jadis sur le champ de bataille de Civitella baisé la main de Léon IX vaincu s’agenouillait humblement aux pieds de Grégoire VII, et recevait l’absolution de tous ses péchés.

Le soir de ce jour, le duc commandait l’escorte entourant la litière du pontife. Grégoire, espérant une ovation de la part du petit peuple, voulut rentrer sans retard au palais du Latran. Il reprit la voie, suivie l’année d’avant, au matin de sa fuite. Personne ne se prosterna sur son passage. Les femmes et les enfans se détournaient à son approche ; les hommes attachaient sur lui des regards de haine. Victorien, qui dirigeait l’arrière-garde, où figuraient Pia et l’évêque d’Assise, dut tirer l’épée, à la hauteur du Capitole, pour intimider une bande de vagabonds retranchés parmi les décombres amoncelés par la dévastation de l’empereur.

— C’est le Dies iræ, dit Joachim à Pia, et non point le Te Deum, que votre oncle pourra chanter demain à l’autel de son église pontificale.

Rome elle-même allait donner le signal du cantique terrible. Le troisième jour après l’arrivée des Normands, elle se leva, dans un accès de colère folle, contre les vainqueurs. La lutte ne fut pas longue. Robert, un instant déconcerté par cette émeute qui éclatait à la fois dans toutes les régions de la ville, ordonna de massacrer sans quartier et de brûler sans pitié, même les couvens les plus vénérés, même les églises les plus augustes. Ce fut un bûcher grandiose : la ville des monti, l’Esquilin et le Quirinal, les rues populaires aboutissant à l’arc de Janus, au Colisée, au portique d’Octavie, à Saint-Pierre-aux-Liens, le Forum de Trajan et ce qui subsistait du Champ de Mars, empourprèrent le ciel pendant trois nuits. La fête de Néron, l’orgie de feu de l’Antéchrist recommençait. Les rues n’étaient plus qu’un marécage de sang. Du haut des ponts, on lançait au Tibre les cadavres par milliers ; on précipitait des enfans à la mamelle du haut des tours. L’horreur des temps d’Alaric fut éclipsée. Quand la ville fut bien domptée et muette, le pillage eut son tour, d’autant plus âpre que Rome était pauvre alors, les palais vides, les églises dépouillées de tous leurs trésors. Les Calabrais sauvages abattaient à coups de hache la table des autels pour y découvrir l’or qu’ils y croyaient caché ; les Arabes brisaient la porte des tabernacles, arrachaient aux statues des saints leurs robes précieuses, leurs ex-voto ornés de pierreries, et fouillaient d’une main furieuse dans les reliquaires. Les grandes basiliques, Saint-Pierre-et-Saint-Paul, Sainte-Marie-Majeure