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trancher le grand débat qui tenait en suspens le monde chrétien ; la noblesse de Rome s’engageait à solliciter de Grégoire le pardon et le couronnement d’Henri. Celui-ci, afin de faciliter la réunion du concile, se retira, au milieu de l’été, en Toscane, laissant une garnison campée autour du château Saint-Ange, tandis que Clément III retournait à Tivoli.

Le concile, composé d’évêques venus du midi de l’Italie et de la Provence, fidèles à la communion de Grégoire et, d’avance, hostiles à Henri, se rassembla en effet, au mois de novembre 1083, dans les salles du Saint-Ange. Il se sépara au bout de quelques jours, sans terminer le litige auquel s’étaient dérobés les évêques du parti impérial. Les barons romains, désespérant d’obtenir de Grégoire le couronnement solennel, selon les rites en usage depuis Charlemagne, demandèrent à l’empereur s’il se contenterait de recevoir la couronne impériale sans onction sacramentelle, et présentée au bout d’une baguette, à travers une meurtrière de la forteresse. Henri ne répondit point à cette proposition dérisoire et prépara sa quatrième expédition contre Rome. Le 21 mars 1084, jour de saint Benoît, il entrait par la porte Saint-Jean en compagnie de l’anti-pape et les deux alliés prenaient pour résidence le palais même du Latran.

Ce long hiver avait été pour Grégoire VII un temps de grande douleur. L’inutile concile qui s’était tenu entre les murs de sa prison lui avait laissé sentir son impuissance sur l’Église. L’apostolat des grands papes, de saint Grégoire le Grand, de Léon III, de Silvestre II, échappait à ses mains débiles. Il semblait que Dieu l’abandonnât. Il apprenait chaque jour les progrès du parti césarien à Rome. La ville, appauvrie par la désertion des pèlerins qui, depuis trois ans, n’osaient plus s’acheminer vers le tombeau de saint Pierre, se mourait de misère et d’ennui. Le pape qu’elle avait aimé n’était-il pas l’artisan de sa détresse ? Le petit peuple, indifférent à la pureté de l’Église, à la légitimité du pontificat, excité par les mauvais moines, criait déjà dans les carrefours que, sous le règne de Clément, client de l’empire, on retrouverait enfin la paix, la richesse et la joie. Aucun signe de secours prochain ne se montrait du côté des Normands, bien que le duc Robert fût rentré en Italie. La noblesse dévouée au saint-siège ne possédait plus que quelques châteaux sur le Cœlius et le Palatin ; les Corsi avaient encore le Capitole, les Pierleoni, l’île du Tibre. Chaque jour, la primauté féodale de Grégoire déclinait davantage en même temps que son prestige spirituel. Il entendait, autour du Saint-Ange, les cris rauques des sentinelles allemandes, il voyait, du haut des terrasses, le camp tudesque dressé dans les prairies de Néron. Bientôt,