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est de n’avoir jamais regretté la part qu’il avait prise à une œuvre qui indirectement lui coûta si cher.

Il avait été élu, à une forte majorité, député de Florence. Cavour lui offrit aussitôt de représenter la Toscane dans le premier ministère italien. Ses hésitations furent longues : il ne lui paraissait pas indispensable que la Toscane fût représentée ; il était hostile à ce qu’on a appelé les ministères géographiques, cela lui rappelait de trop près cette fameuse confédération qu’on avait eu tant de peine à écarter. Selon lui, la Toscane s’était donnée sans arrière-pensée ; réclamer une place dans le ministère, c’était demander des gages, c’était dire qu’elle distinguait entre ses intérêts et ceux de la patrie. Mais de pareils scrupules n’arrêtèrent pas Cavour. En réalité, l’unité italienne, proclamée d’enthousiasme, n’était pas encore accomplie dans les faits ; les diverses provinces avaient un esprit, des traditions, des lois, des intérêts très différens ; le Piémont devait les ménager et éviter de paraître les traiter en pays conquis.

C’est ce que sentait Cavour, avec son tact de grand homme d’État ; et pour qu’on ne pût lui reprocher de turiniser et de cavouriser[1] l’Italie, il désirait prendre pour collaborateurs les hommes les plus éminens de chaque région. Aussi insistait-il auprès de Peruzzi : u Pour l’amour de Dieu, lui écrivait-il, ne me manquez pas de parole. Avec vous et Minghetti je réponds de la victoire ; si vous me faisiez défaut, je n’aurais plus qu’à chercher le moyen de tomber le moins mal possible[2]. » Devant ces flatteuses instances, Peruzzi fit le sacrifice de ses vues personnelles, en même temps que de ses goûts, qui le retenaient à Florence. Il fut ministre des travaux publics dans le troisième cabinet Cavour (14 février-12 juin 1861), puis dans le premier ministère Ricasoli (12 juin 1861-8 mars 1862). Il eut enfin le portefeuille de l’intérieur dans le ministère du 8 décembre 1862.

Comme ministre, il rendit de grands services en hâtant la construction du chemin de fer de l’Adriatique, pour rattacher les provinces méridionales à l’Italie du Nord ; en combattant le brigandage dans l’ancien royaume de Naples ; en préparant ou en faisant voter quelques lois organiques essentielles. Mais la convention de septembre lui coûta son portefeuille. En exécution d’une des clauses de cette convention, la capitale de l’Italie dut être transférée à Florence. Une émeute éclata à Turin ; elle fut

  1. Expressions du député Ricciardi au parlement de Turin. (Jarro, Vita di Ubaldino Peruzzi, p. 134.)
  2. Chiala, Lettere, etc., t. VI, p. 680 ; lettre de Cavour à Peruzzi, du 9 février 1861.