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gouvernement répondit naturellement en le révoquant de ses fonctions de gonfalonier.

Ce serait lui faire injure que d’attribuer à de mesquines rancunes l’évolution qui se fît alors dans son esprit. Mais il est certain que les événemens de 1849 et 1850 eurent sur lui la plus grande influence. Ils dissipèrent le rêve un instant caressé par lui : la Toscane jouissant d’institutions libérales sous un monarque italien de cœur et indépendant de fait. À partir de ce moment, l’Italien chez lui l’emporte sur le libéral, ou plutôt il comprend mieux à quel point la cause de l’unité est liée à celle du gouvernement constitutionnel, et l’on peut dire que, dans son esprit, la rupture avec la maison de Lorraine est chose faite. « Il est impossible d’être tout à la fois archiduc d’Autriche et prince vraiment italien[1]… Il y a unanimité en Toscane pour répéter à la dynastie grand-ducale ce mot fatidique qu’ont eu déjà à entendre, sur la route de l’exil, tant de souverains qui n’avaient pas su faire de concessions à temps. Il est trop tard ! .. Il est impossible à des Toscans de croire encore à des promesses constitutionnelles de la part d’une dynastie qui leur a déjà donné, juré, violé, et retiré des constitutions[2]. » Ces idées, qu’il devait exprimer en 1859, il n’avait pas attendu jusque-là pour en être pénétré. De là, quand éclata la crise, la netteté de son attitude. Considérant d’avance « la dynastie elle-même comme à jamais condamnée, » il ne fut pas un des conseillers de la dernière heure qui, jusqu’à la fin, tentèrent loyalement de la sauver. Dans la suite, il combattit toujours l’idée d’une restauration. « S’il était possible, disait-il, qu’un prince de la maison de Lorraine, libéral, pût revenir en Toscane, je ne lui serais pas hostile. Mais le rétablissement d’une monarchie étrangère est désormais un fait humainement impossible[3]. » Quant aux projets de confédération alors à la mode, ils ne lui parurent jamais qu’un pis-aller. Il comprit tout de suite que l’union avec le Piémont était possible et il la voulut résolument. Cette clairvoyance, cette confiance dans l’avenir n’étaient pas tout à fait sans mérite. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir la correspondance de Gino Capponi ; on y verra quelles furent alors les incertitudes des plus nobles patriotes. « Pour moi, écrivait Capponi à la fin de 1859, j’ai été très longtemps avant d’oser me dire à moi-même ce qu’une enquête très rigoureuse a dû me prouver, qu’une restauration ne pourrait se faire que

  1. La Toscane et ses grands-ducs autrichiens, p. 7.
  2. Ibid., p. 133.
  3. Jarro, Vita di Ubaldino Peruzzi, p. 79.