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paix : » ayant conclu séparément un premier traité, dans cette vue, avec Frédéric II, elle avait cru pouvoir compter sur la prompte adhésion de l’Angleterre. Or, celle-ci lui fut immédiatement refusée par lord Sandwich, puis brusquement offerte, il est vrai, sur la nouvelle d’un traité d’alliance entre la France et l’Autriche ; mais on se heurta pour la seconde fois au même obstacle, parce que l’Angleterre ne voulait pas se laisser entraîner, le cas échéant, dans une guerre contre la Turquie. Dès que le traité de commerce eut été ratifié, Panine écrivit sans doute à Moussine-Pouchkine, ministre russe à Londres, que (désintérêts de l’Angleterre étaient, par leur nature, indissolublement liés à ceux de l’empire de toutes les Russies ; » mais il n’en signalait pas moins à son agent l’indifférence systématique de cette alliée naturelle pour les intérêts de la Russie en Suède et en Pologne. À la même époque, un certain nombre de pamphlets, publiés à Londres, étaient dirigés contre la personne même de l’impératrice, et quoique celle-ci, dans une note écrite de sa propre main sur un rapport du comte A.-R. Vorontzof, eût indiqué les moyens de mettre un terme à cette polémique[1], la diplomatie russe n’en pouvait venir à bout. Toutefois, les instructions données en novembre 1768 à Tchernychef, successeur de Moussine-Pouchkine à Londres, ne laissent planer aucun doute sur les intentions du gouvernement russe : il désirait conclure le traité d’alliance parce que le « système du Nord » était impraticable sans le concours de l’Angleterre. Mais Panine fit d’inutiles efforts pour convaincre le cabinet de Saint-James que les intérêts de la Russie et de l’Angleterre en Suède étaient « tout à fait solidaires, » et Tchernychef fut obligé de mander à son gouvernement que les ministres anglais cherchaient uniquement à gagner du temps. Le mécontentement de ce gouvernement éclate dans la correspondance même de Panine[2], remplie d’amères réflexions sur l’esprit mercantile que les Anglais apportent dans la politique, et l’utilité de relations plus intimes avec la Grande-Bretagne commence dès lors à devenir très problématique à Saint-Pétersbourg.

Sur ces entrefaites, la Sublime-Porte avait déclaré la guerre à Catherine II, et chargé son grand-vizir d’entrer en Podolie avec 100,000 soldats. L’Angleterre redoubla de circonspection. Lord Rochefort, secrétaire d’État des affaires étrangères, tout en répétant

  1. « Il y a trois moyens d’agir en pareil cas : 1° attirer l’auteur dans un endroit commode et le rosser ; 2° le payer pour qu’il cesse d’écrire, ou anéantir les publications ; 3° ou répondre aux accusations sans s’adresser à la cour, ce qui serait inutile, il me semble. »
  2. Voir la dépêche du 2 janvier 1769 à Tchernychef.