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kalmouks pour agir à la première réquisition de la part de Sa Majesté britannique ; » mais il fut stipulé dans un article secret que les troupes et les galères envoyées sur les frontières terrestres ou maritimes de cette province seraient exclusivement dirigées contre le roi de Prusse et « ne seraient jamais obligées d’opérer contre une autre puissance quelconque. »

Cette dernière clause met en relief la pensée qui va dominer la fin du règne. Elisabeth ressent pour son belliqueux voisin l’aversion la plus violente et veut mettre un terme à ses progrès. Le traité d’Aix-la-Chapelle (30 avril 1748) va rétablir la paix entre la France et l’Espagne d’une part, l’Autriche, l’Angleterre et la Hollande de l’autre ; les troupes russes vont quitter l’Allemagne. Mais l’ambition prussienne ne désarme pas, et la tsarine suit d’un œil inquiet chaque mouvement de Frédéric II. « C’est un mauvais prince qui n’a pas la crainte de Dieu, dit-elle ; il tourne en ridicule les choses saintes ; c’est le Nadir-shah de la Prusse. » Mais c’est par-dessus tout un rival. Un nouveau peuple se lève et s’installe sur les flancs de la Russie, plus redoutable que la Suède ou que la Pologne, et conduit par un autre Annibal à la tête de deux cent mille soldats. Tant que le comte Bestoujef-Rioumine eut à plaider la cause de l’Angleterre unie à l’Autriche contre la Prusse, il eut aisément gain de cause ; mais, du jour où il s’efforcera de prouver, après la volte-face de George II, que l’Angleterre, alliée de la Prusse en guerre avec la Russie, reste néanmoins l’alliée « naturelle » de l’impératrice, il perdra son crédit et tombera bientôt dans une complète disgrâce.

Après la paix d’Aix-la-Chapelle, toute la politique du gouvernement britannique paraît dictée par une idée fixe. George II veut dérober soit à nos coups, soit à ceux du roi de Prusse, l’électorat de Hanovre, son patrimoine héréditaire. C’est vers ce but exclusif que tendent les démarches des ministres anglais ta Pétersbourg, les énormes subsides offerts à la Russie, la convention du 30 septembre 1755 par laquelle Elisabeth s’engage à tenir, sur les frontières de la Livonie attenantes à la Lithuanie, un corps de 55,000 hommes, la contrainte morale exercée par Bestoujew sur la tsarine pour obtenir l’échange des ratifications. Mais au moment même de cet échange, un coup de théâtre changeait la face de l’Europe, et l’on se figure l’effet produit à Saint-Pétersbourg par cette étonnante nouvelle : un traité d’alliance vient de se conclure (16 janvier 1756) entre la Grande-Bretagne et Frédéric II ! Le roi George s’était subitement imaginé que, si ce grand capitaine s’engageait envers l’Angleterre à n’attaquer ni le Hanovre, ni les Pays-Bas, il pourrait se passer du monde entier. D’ailleurs, que ne