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Les affaires de l’Angleterre ont été conduites avec une singulière habileté pendant ces trente ans de règne : elle a tout obtenu sans rien céder. Tournant chaque obstacle avec une agilité merveilleuse, elle a noué, pour son plus grand profit, des relations commerciales que rien ne peut plus rompre et qui se développeront de jour en jour. Les Anglais iront bientôt jusqu’à demander, mais n’obtiendront pas des deux successeurs d’Ivan IV l’exclusion complète des étrangers. Cette dernière prétention était exorbitante, et leur prépondérance commerciale n’en était pas moins solidement établie. Mais les concessions successives des tsars Féodor et Boris eurent leur raison d’être, et la persévérance avec laquelle Ivan IV, poussant la Russie vers de nouveaux destins, avait recherché l’alliance d’Elisabeth, témoigne de son esprit politique. L’allié ne pouvait être pris sur les flancs de la Moscovie en lutte ouverte et continuelle avec ses voisins du Sud et de l’Ouest : il fallait donc choisir entre l’Angleterre et la France. Outre que François Ier avait mêlé le Turc aux affaires de l’Occident, celle-ci ne connaissait plus la Russie, et la lecture même du « grand dessein » prouve qu’Henri IV, à la fin de son règne, l’excluait encore de la « république chrétienne. » Aussi notre ambassadeur Duguay-Cormenin fut-il éconduit par une cour incrédule lorsqu’il vint à la fois, en 1629, solliciter le libre passage pour aller en Perse et proposer une alliance. À cette époque, l’Angleterre était indiquée. On put la croire encore, pendant un demi-siècle, moins indissolublement unie de vues et d’intérêt3 avec la Turquie que notre propre pays[1]. L’entente était donc logique, et subsista longtemps, quoique la Russie dût, à plusieurs reprises, même avant le règne de Catherine II, tourner ses regards d’un autre côté.


II

Ce qui caractérise les rapports de l’Angleterre et de la Russie pendant le XVIIe siècle jusqu’à l’avènement de Pierre le Grand, c’est, d’une part, l’âpreté singulière avec laquelle l’Angleterre accapare, dans l’intérêt de son commerce, tout le profit de l’entente commune ; d’autre part, la persévérance inutilement déployée par la Russie pour en tirer quelque avantage politique. Alexis Michaïlovitch, le second des Romanof, se lassait évidemment de ce rôle

  1. Toutefois, dès l’an 1600, le tsar Boris Godounof commence à s’apercevoir que l’Angleterre s’intéresse beaucoup à l’empire ottoman (voir sa lettre à Elisabeth ; de Martens, t. IV, p. 2-3).