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l’Angleterre allait se brouiller, pour complaire à cet étrange personnage, soit avec la Pologne et la Suède, soit avec la Turquie, quand les intérêts britanniques commandaient de maintenir une entente avec ces puissances ? On assiste dès lors au plus curieux spectacle : l’Angleterre, rusant avec la Russie et recourant à tous les subterfuges pour déplacer une question qui lui semblait si mal posée, la Russie s’entêtant avec une égale obstination à ne pas la déplacer.

De là cette série de vicissitudes qui marquent la seconde partie du règne et que d’autres ont racontées en détail, des malentendus sans cesse renaissans, la compagnie de la Mer-Blanche successivement accablée de faveurs et comblée de disgrâces. Elisabeth, en 1570, crut apaiser le farouche autocrate en lui proposant aide et secours contre « des ennemis communs ; » mais quels pourraient bien être ces ennemis communs ? Ivan perdit patience et se plaignit amèrement de ce que les intérêts des couronnes étaient sacrifiés à des commerçans. En 1574, toutes les marchandises anglaises accumulées dans le comptoir de Vologda furent saisies au profit du trésor et les Anglais contraints à payer non pas tous les droits, mais une partie des droits de douane imposés aux autres nations, ce qui parut intolérable à la compagnie de la Mer-Blanche. On en vint à la rupture des communications diplomatiques directes. Toutefois, quatre ans avant la mort d’Ivan, il y eut un rapprochement entre les deux cours. Le tsar eut à se procurer, durant la lutte entamée contre les Polonais et les Suédois, diverses munitions de guerre et treize navires les lui portèrent, grâce aux bons offices de la grande compagnie anglaise, au printemps de 1581. Cet incident réveilla ses sympathies et ses espérances. En 1582, il chargea Théodore Pissemsky d’aller négocier à Londres une alliance offensive contre la Pologne, et, par surcroît, un mariage avec Mary Hastings, nièce d’Elisabeth. Il n’obtint, comme toujours, au sujet de l’alliance, qu’une réponse évasive et le gouvernement britannique ne donna d’autre preuve de sa bonne volonté, sur le terrain politique, qu’en proposant l’année suivante sa médiation entre la Russie et la Suède. Quant à l’autre projet, on trouva cent raisons pour n’y donner aucune suite. Cet infatigable épouseur, qui avait contracté sept mariages légitimes, poussé des soupirs pour une légion de princesses et fini par aspirer, s’il faut en croire certains chroniqueurs, à la main même de la respectable Elisabeth, annonça donc à ses boïars que, dans le cas où les Anglais ne lui expédieraient pas une fiancée, il irait la chercher lui-même à Londres, il ne fut interrompu que par la mort (18 mars 1584)dans ses inutiles négociations.