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position, enviait la mienne. Un jour que nous nous promenions ensemble, il entreprit de me prouver qu’à l’état-major j’avais cent occasions et moyens de me faire connaître et remarquer, d’acquérir de la célébrité, d’avancer enfin ; mais qu’un régiment était un cul-de-sac, qu’on y était confondu avec les masses, que, parvînt-on à se distinguer, la jalousie empêcherait que personne y parlât de vous, et que moi, capitaine, je serais général avant que lui, chef d’escadrons, fût colonel. Cette dernière affirmation seule ne se réalisa pas, car ce fut comme aide-de-camp du général en chef Bonaparte, c’est-à-dire comme officier d’état-major, qu’il parvint à tout. Combien de fois me suis-je rappelé cet entretien, lorsque je lui ai vu franchir avec la rapidité de l’ouragan tous les échelons des grades et, porté par l’aigle des Césars, arriver d’une seule poussée d’aile au faite des grandeurs humaines ! Je dois dire cependant qu’il ne perdit jamais rien de cette aménité, de cette bienveillance qui s’alliaient si bien à l’expansion de son âme et à cette ardeur chevaleresque qui partout en ont fait le brave des braves.

La position, je ne dirai pas des troupes qui composaient le camp de Marly, mais des chefs qui les commandaient, devint tout à coup difficile. Paris, en masse, se prononça contre cette réunion de forces.

Quant aux contre-révolutionnaires, lorsqu’ils furent convaincus qu’ils ne parviendraient pas à faire éloigner ces troupes, ils songèrent du moins à en rendre le secours impuissant, en organisant une insurrection générale.

Au milieu de cette insurrection croissante, la Convention, irréprochable depuis un an, continuait avec un véritable stoïcisme ses travaux législatifs. Elle sentit néanmoins la nécessité de se mettre sur ses gardes, et elle ordonna que les troupes réunies à Marly viendraient camper à la plaine des Sablons.

Dans cette même journée du 12 vendémiaire, quinze cents patriotes, chassés des sections, vinrent offrir leurs services à la Convention ; celle-ci les agréa et les fit armer malgré le général de Menou, qui alla jusqu’à déclarer qu’il ne les commanderait pas ; ils formèrent en effet un corps à part sous les ordres du général Berruyer et de l’adjudant-général Solignac, et furent commandés par les officiers isolés qui se trouvaient à Paris. Ce corps fut nommé par les uns « bataillon sacré, » par les autres « bataillon des terroristes. » Il aurait pu être nommé « bataillon du salut, » car il fut d’un grand secours.

Le 13, à huit heures et demie, je sortis de chez moi pour aller remonter à cheval rue de l’Échelle, où se trouvaient mon écurie et par conséquent mes chevaux. Je n’avais pas fait la moitié de ce trajet que j’entendis derrière moi des coups de fusil et vis, en me retournant, un de mes camarades arriver au grand galop, son hussard d’ordonnance tomber de cheval et des sectionnaires se jeter sur le cheval et sur le