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vont bientôt voir le jour ; près d’un siècle sépare cette publication de la première, et cependant elle en est, pour ainsi dire, le complément et la suite naturelle. Les premiers chapitres sur l’enfance et l’éducation de Charles Thiébault nous transportent, en effet, à la cour de Potsdam qu’avaient transformée, sinon beaucoup enrichie les victoires de la guerre de Sept ans.

Assurément ce sont encore des récits, toujours des récits sur la Révolution, l’Empire et la première Restauration ; mais on n’en saura jamais trop sur cette époque de transition toute vibrante de patriotisme et d’esprit militaire, comme on n’en verra plus, où le combat se livre sur la frontière de deux mondes opposés, au seuil de la patrie menacée, entre deux sociétés si diverses, composées, l’une, des derniers défenseurs de la monarchie coalisés avec l’étranger ; l’autre, des partisans de la France nouvelle ; — sur un temps héroïque où il n’est pas un événement qui ne tienne du passé ou n’emprunte à l’avenir une haute signification, pas un tait qui n’emporte avec lui une profonde émotion. Aussi notre curiosité n’est-elle jamais à bout ; l’intérêt s’accroît de cette diversité même, de la variété des tableaux évoqués, de la noblesse ou de l’infamie de certaines figures historiques que l’on verra s’animer et revivre à mesure que l’on marchera de péripétie en péripétie.

Après les Mémoires de Marbot, si émus, si sincères dans leur simplicité, si attachans par la grandeur de situations et de combats qui tiennent de l’épopée, après ceux du colonel Vigo Roussillon, des maréchaux Macdonald et Davout, du commandant Parquin, du général Tercier, de Moreau de Jonnès, pour ne citer que les plus récens mémoires militaires, on suivra encore avec curiosité, malgré sa forme un peu prolixe, cette confession toujours sincère dans son ingénuité, quoique d’une franchise quelque peu choquante, d’un homme qui a connu bien des faiblesses physiques et des détresses morales. Thiébault est entraîné par son récit à des aveux devant lesquels beaucoup d’autres auraient hésité ; il se complaît peut-être un peu trop dans l’adoration de la femme, défaut qu’on ne pourra lui reprocher d’avoir pris du roi de Prusse ; on peut trouver, d’autre part, qu’il fut trop fréquemment, à l’exemple de Frédéric, bien habile casuiste pour résoudre les cas de conscience les plus délicats, mais on ne saurait lui refuser d’avoir été le plus souvent guidé par de nobles mouvemens du cœur et par des aspirations généreuses.

Il est curieux de voir à quel point l’influence de l’éducation première et du milieu prussien, militaire, philosophique et sceptique, où Thiébault vécut jusqu’à quinze ans, de ce qu’on pourrait appeler la période allemande de sa jeunesse, restera longtemps sensible dans tous ses actes. Mais sa vie reflète surtout les passions de sa véritable