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première procession où il avait figuré lui-même, enfant de chœur balançant l’encensoir. Puis il se souvint d’une parole du curé de ce temps-là, le jour où il lui avait confessé sa vocation religieuse :

— Ah ! mon enfant, vous serez peut-être plus tard, à votre tour, curé de Soana. Cela serait très beau ! peut-être même évêque de Viterbe ! Que le bon Dieu vous fasse la grâce d’être évêque ! Mais, curé de Soana, vous seriez bien plus heureux !

Pour la seconde fois, depuis qu’il s’était assis sur la pierre de son berceau, l’évêque universel sourit avec amertume.

Il se leva alors, ouvrit lentement la porte et descendit les marches de l’humble masure avec une gravité recueillie, comme s’il quittait le maître autel pontifical de Saint-Jean-de-Latran. Jusqu’au château du baron, il ne prononça pas une seule parole. Il accepta, pour honorer son hôte, un peu de pain et de lait. Victorien, le seigneur et quelques moines se tenaient debout autour de la table :

— Cette maison est toute caduque et menace ruine ! dit-il, comme se parlant à lui-même. Mais j’ai déjà tant de ruines à soutenir ! Après moi, c’est à ma petite-nièce qu’il appartiendra d’y veiller, à Pia et à son mari…

En ce moment, il releva la tête, et son regard croisa celui de Victorien. Une pensée, une espérance nouvelle, s’éveillait dans le cœur du fils de Cencius, indécise encore et pleine d’inquiétude. Cependant, il lui sembla que la figure austère du pape s’était portée de son côté avec une bonté paternelle. Grégoire reprit, toujours à demi-voix :

— Tant que la race d’Hildebrand vivra, je veux que cette maison demeure comme le témoignage de notre humilité première et de la douceur de l’Église qui nous a exalté. Pia et mon petit-neveu n’oublieront jamais ce vœu de leur grand-oncle.

Mais il ajouta, en se tournant vers le groupe noir des moines :

— À moins que la volonté du Seigneur et l’intérêt de l’Église n’appellent Pia à la vie du cloître, qui est la vie bienheureuse !

Un moine s’inclina en murmurant :

Sola beatitudo !

Amen ! dirent les autres moines d’une voix mélancolique.

L’intention première du pape avait été de joindre l’empereur en Allemagne même, puis, quand Henri eut passé les Alpes, à Mantoue. Chaque jour, il recevait un courrier de la comtesse Mathilde, lui apprenant les relations d’Henri avec le clergé et les nobles du Piémont et de Lombardie. À Milan, l’Église simoniaque, contre laquelle Hildebrand avait jadis fomenté la révolte des Patarins, attendait l’excommunié avec enthousiasme. Les évêques lombards, chassés du bercail romain, espéraient que le fils d’Henri III oserait donner un nouveau pape à la chrétienté. À partir de Turin