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crimes, aucune des folies d’Henri. L’épiscopat allemand, si docile quelques mois plus tôt, terrifié maintenant par les anathèmes de Rome, se détournait du prince maudit ; Siegfried de Mayence s’était enfui de la cour et prêchait dans son diocèse la réforme du royaume et la pénitence pour les péchés du roi. En face de Tribur, sur l’autre rive du Rhin, à Oppenheim, presque seul, entouré des rares amis qui osaient encore toucher sa main et s’asseoir à sa table, Henri prêtait l’oreille aux rumeurs menaçantes parties de cette petite ville où, deux siècles auparavant, l’Allemagne avait déposé l’empereur Charles le Gros.

Puis il s’était enfermé, tel qu’un pestiféré ou un lépreux, dans le château de Spire. Mais la clameur de son peuple, privé de sacremens et affolé par la peur de l’enfer, montait toujours jusqu’à lui. Ses vassaux ne lui accordaient plus que quelques mois pour faire sa paix avec l’Église. Au bout d’un an, à partir du jour de l’excommunication fulminée au Latran, il serait proclamé déchu et chassé de l’empire.

Alors il se résigna à la suprême humiliation.

Il écrivit à son parrain, Hugues, abbé de Cluny, s’engageant à la réparation et promettant le passage en terre sainte. Il écrivit à la comtesse Mathilde de Toscane, afin qu’elle priât Grégoire de s’avancer jusqu’en Lombardie pour y rencontrer le pénitent impérial. Il envoya un message au pape pour protester de son repentir et de sa conversion. Puis il mendia secrètement à ses comtes et à ses barons des secours pour faire le voyage d’Italie. Bien peu lui répondirent et un seul consentit à l’accompagner. Il sortit de Spire avec sa femme et son fils en bas âge. Personne ne songea à lui barrer le chemin. Les excommuniés, qui se rendaient en foule à Rome, afin d’obtenir le pardon, s’écartaient de sa route, craignant de voyager dans son ombre. Il fit un long détour par la Bourgogne et passa la fête de Noël à Besançon. De là, à travers le Jura, il gagna les terres de sa belle-mère, Adélaïde de Suse, comtesse de Savoie. Les défilés des Alpes étaient gardés par ses compétiteurs à l’Empire ; le Saint-Bernard seul était libre. C’était la route antique d’Antonin, reprise par Charlemagne et ses fils, pratiquée par les pèlerins. Hildebrand avait jadis conduit à Rome, par ce chemin, le pape Léon IX. Mais Adélaïde et son jeune fils, le comte Amé, prétendaient faire payer cher à Henri le sentier de la montagne. Ils lui demandèrent cinq évêchés d’Italie, voisins de leurs États. Henri marchanda, supplia, eut recours aux pleurs de sa femme et parvint à faire accepter le Bugey comme rançon de sa fuite. Le 1er janvier 1077, après avoir franchi le Rhône près de Saint-Maurice, vieille bourgade consacrée par le sang de la légion thébéenne, le fils de