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rappellent les guinguettes de la barrière, puis, l’hiver succédant brusquement à l’été, un trou béant, de grands blocs semblables aux colonnes d’une église, les stalactites suspendues aux voûtes qui, en 1585, menaçaient « d’escarbouiller » le cerveau de Bénigne Poissenot, l’auteur des Nouvelles historiques. Moines et seigneurs y descendaient leur gibier, et venaient s’approvisionner de boisson fraîche ; les prélats bisontins exigèrent une rente de glaçons pour empêcher les vins de Tro-Chatey de s’aigrir ; là se réfugièrent les paysans du voisinage pendant l’invasion de Weimar, et ils y menaient l’existence la plus misérable, mouillés jusqu’aux os, privés d’air, obligés d’avaler la fumée des feux qu’ils allumaient pour sécher leurs nippes et fondre les glaces, plus heureux encore que les gens de Villers qui furent murés tout vivans par les damnés Suédois dans le souterrain où ils s’étaient cachés.

Un jour de repos à Besançon, et, en route pour Morteau, le saut du Doubs et cette délicieuse vallée de la Loue, justement célébrée par les poètes, qu’il faut remonter depuis Ornans, la patrie de Courbet, jusqu’à sa source. Du côté de Salins, la vallée de Nans-sous-Sainte-Anne semble un véritable musée de curiosités naturelles : le pont du Diable, le creux Billard, la source du Lizon, et la grotte Sarrasine (ou manteau de saint Christophe) dans l’ouverture de laquelle on logerait à l’aise toute la façade de Notre-Dame de Paris. Salins, surnommé jadis le pot de chambre de la Comté, contenait, avant 1789, 10,000 habitans ; une société riche et aimable, beaucoup d’officiers retraités, trois collégiales, quatre paroisses, neuf couvens, un collège de jésuites, des industries assez prospères faisaient de cette ville un séjour agréable. Les reliques de saint Anatoile préservèrent, dit-on, les habitans de la colère de Louis XI, et son église montre encore son porche roman, déroule ses voussures délicates, ses colonnettes basses ; mais il y manque ses beaux vitraux et quatorze tapisseries, chef-d’œuvre de Jean Sauvage de Bruges, qui racontaient la légende du saint. Il y a cinquante ans à peine, on imagina de faire servir les sources salines, cette planche à pain des Salinois, à la guérison des scrofuleux et des lymphatiques, l’idée réussit et la ville reçoit chaque année sept à huit cents baigneurs.

Le chemin de fer de Salins à Pontarlier découvre la plaine « virgilienne » de la Bresse et du Val-d’Amour ; après une pointe sur Andelot, Nozeroy, le val de Mièges, Champagnole, Saint-Laurent, par les vallées de l’Ain, nous partons en voiture pour Saint Claude[1] (l’ancien Condat), ville de dix mille âmes, bâtie

  1. Audiganne (voyez la Revue du 15 mai 1856 et du 15 juin 1864). — Vies de saint Romain, de saint Lupicin et de saint Oyand, par un auteur anonyme qui écrivait au XVIe siècle. — Chronique de l’abbaye de Saint-Claude écrite au XIIe siècle en vers latins rimant entre eux. — Histoire de l’abbaye de Saint-Claude, par Claude du Saix. — Dunod de Charnage, Histoire de l’abbaye de Saint-Claude. — Pernier, Histoire manuscrite de l’abbaye de Saint-Claude. — J.-B. Crestin, Notice historique sur la ville de Saint-Claude. — Histoire de l’abbaye de Saint-Claude depuis sa fondation jusqu’à son érection en évêché, par Montgaillard, 2 vol. in-8o. — Panégyrique de Saint-Claude, par Mgr Besson, évêque de Nîmes. — Charles Thuriet, Petites poésies san-claudiennes. — Désiré Monnier, Traditions comparées. — Statistique commerciale établie par la chambre consultative des arts et manufactures de Morez.