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vous arrêtez point, passez outre, notre Franche-Comté n’est point votre fait. Elle n’a point les glaciers, ni les neiges éternelles, ni les pics énormes de sa voisine, six heures à peine de chemin de fer la séparent de Paris, mais de glorieux souvenirs charment à chaque instant l’âme du touriste, et vieilles cités, villages coquettement semés au flanc des collines ou tapis dans la plaine derrière des bouquets de cerisiers, vallées profondes, lacs et cascades, prairies et forêts lui composent une parure variée où éclatent mille beautés particulières fondues en une symphonie de grâce et de couleurs. Son sommet le plus élevé ne dépasse pas 1,700 mètres, son lac le plus considérable a 350 hectares, ses rivières principales, la Saône, le Doubs, l’Ain, l’Ognon, sont des ruisseaux à côté de certains fleuves ; mais la nature a mis en eux une si délicate poésie, elle les a si généreusement revêtus de ses prestiges que, le mot sublime excepté, aucun terme d’admiration ne saurait leur être refusé. Beaucoup de Parisiens ont visité Constantinople, Ceylan, le Japon, qui ne connaissent point la Sainte-Chapelle ni le musée de Cluny, à plus forte raison cette France provinciale qu’il a été de bon ton de dédaigner pendant si longtemps. L’heure ne serait-elle pas venue de protester contre cet ostracisme, de garder pour nos départemens quelques étincelles de cet enthousiasme qu’on prodigue aux étrangers ?

D’ailleurs, la Franche-Comté n’est point une inconnue pour les artistes, peintres, romanciers, qui chaque année viennent, nombreux, lui demander des inspirations. Charles Nodier, l’Arioste de la phrase, Xavier Marinier, Lamartine qui appartenait au pays de Saint-Claude par sa grand’mère maternelle, tout récemment MM. Henri Bouchot[1] et Charles Grandmougin ont dit les tendres transports, les rêveries qu’éveille cette terre riche de splendeurs utiles et idéales : ils vous conduiront à travers les enchantemens de leurs récits, comme ces preux chevaliers qu’une fée bienveillante entraîne dans la patrie de leurs désirs, leurs impressions grandiront les vôtres, et votre mémoire, pleine de ces peintures, enverra à votre âme de nouvelles images sorties de cette collaboration. Mais pour faire ce voyage, sans se presser, en savourant toutes choses, au gré de la fantaisie, comme un amoureux ou comme un poète, il faudrait du temps, de longs mois, et, dans ce siècle

  1. L’ouvrage de M. Henri Bouchot sur la Franche-Comté pittoresque est des plus intéressans — Voir aussi : Ch. Thuriet, Deux causeries sur Lamartine, Saint-Claude et ses environs. — Castan, Besançon et ses environs ; la Franche-Comté. — Le Guide du voyageur et du baigneur à Luxeuil, par un habitant du pays (l’abbé Morey). — Abbé Morey, la Vigne de la Motte de Vesoul ; Annales franc-comtoises, 1867. — Désiré Nisard, Souvenirs de voyages, t. II : Besançon et Franche-Comté, 1893.