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LA CHIMIE DANS L’ANTIQUITÉ.

certain nombre de lettres, cherchons la place occupée par chacune de ses lettres. Si la seconde lettre, par exemple, tombe dans la colonne de la chaleur et dans la rangée des minutes, elle donnera deux minutes de chaleur ; on fera la même évaluation pour chacune des lettres du mot et chacune des quatre qualités : la somme indiquera la proportion des quatre qualités fondamentales dans le mot lui-même, c’est-à-dire dans la chose qu’il exprime. Si c’est une substance destinée à un usage médical ou chimique, on en cherchera une ou plusieurs autres, susceptibles d’équilibrer par compensation les élémens actifs de la première. « Installez alors votre chaudron, dit Geber, et faites chauffer à un feu léger les substances qui s’équilibrent, afin qu’elles se pénètrent et forment un mélange intime et permanent. »

Si j’ai reproduit ces rêveries subtiles, renouvelées des médecins mathématiciens de l’Égypte, c’est afin de montrer quel mélange de données réelles et de calculs chimériques constituait la science arabe, mélange qui subsiste même de notre temps dans la science orientale : car elle n’est jamais parvenue à la conception purement rationnelle, qui élimine le mystère et le mysticisme de la connaissance positive de l’univers.

Quelques mots encore sur une théorie de la constitution des métaux, qui paraît due aux Arabes et qui a été souvent attribuée à Geber, quoiqu’on n’en trouve aucune trace dans ses œuvres authentiques, connues jusqu’à présent. Je veux parler de cette théorie d’après laquelle les métaux seraient formés de mercure, de soufre et d’arsenic (sulfuré). L’arsenic est de trop ici, car il était rangé autrefois dans la classe du soufre ; mais la doctrine dont il s’agit figure sous sa forme précise dans les traductions arabico-latines, d’apparence authentique, écrites au xiiie siècle. Ainsi l’alchimie dite d’Avicenne explique d’abord que tout métal doit être réputé formé de mercure et de soufre, parce qu’il peut être rendu fluide par la chaleur et prendre ainsi l’apparence du mercure, et parce qu’il peut produire de l’azenzar, qui possède la couleur (jaune ou rouge) du soufre. Par ce mot azenzar ou açur, l’auteur entendait à la fois le cinabre et l’oxyde de mercure, le minium, le protoxyde de cuivre, le peroxyde de fer, en un mot tous les sulfures et oxydes métalliques de teinte rouge. Les modernes savent aujourd’hui distinguer tous ces corps les uns des autres ; mais les auteurs anciens et les alchimistes grecs, aussi bien que les arabes, les confondaient sous des noms communs ; et cette confusion était invoquée comme la preuve d’une théorie sur la constitution des métaux.

Voici quel système, en effet, avait été construit sur ces prémisses. « L’or est engendré par un mercure brillant, associé avec