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on vit « les cardinaux, les évêques, les prieurs, les abbés, la noblesse et tout le tiers-état pressés et poussés sans ordre, respect, ni considération, au milieu des piques et des hallebardes, » et jamais, d’une telle foule, on ne put obtenir un silence complet. Les discours des orateurs perdirent presque tout leur effet, et il est à croire que la postérité attache, à l’un d’entre eux du moins, plus de prix que ne le fit l’assistance devant laquelle il fut prononcé.

Ce fut l’évêque de Luçon qui commença. Debout devant le roi, il parla une heure durant. Sa harangue, longue et extrêmement polie, fut goûtée de ceux qui l’entendirent et surtout de ses collègues du clergé qui y trouvèrent un exposé lucide de leurs revendications. On trouva « qu’il s’était acquitté dignement de son devoir, » qu’il avait fait montre de « grand jugement et éloquence » et surtout « qu’il avait représenté tout ce de quoi il était chargé, avec une extrême discrétion et qu’il avait contenté tout le monde sans offenser personne. » Cette nuance dans l’éloge dut être précieuse pour le jeune prélat qui, par-dessus tout, voulait plaire.

Richelieu a pris le soin de faire imprimer ce discours quelques jours après qu’il fut prononcé. Ses secrétaires l’ont inséré dans le corps de ses Mémoires. Mais il faut le lire dans le procès-verbal de la chambre ecclésiastique. C’est là qu’il se trouve à sa vraie place[1].

Lorsqu’il parlait en 1615, Richelieu ne songeait nullement à exposer un programme de gouvernement, et c’est bien à tort que les historiens modernes ont forcé le sens de certains passages pour reconnaître, dans ce discours, les premières traces des futures conceptions de l’homme d’État. Organe du clergé, l’évêque de Luçon exposait, comme dit le procès-verbal de l’ordre, les « remontrances qui lui avaient été ordonnées et prescrites ; » il se proposait donc seulement d’exprimer dans un langage brillant les idées et les aspirations de son ordre, sans blesser les susceptibilités de la cour. Nous savons, par les appréciations des contemporains, qu’il réussit de tout point. On peut ajouter que, même après trois siècles, son discours paraît encore remarquable par sa belle tenue, l’ampleur du développement, la méthode et l’ordonnance des idées, la netteté et la propriété de l’expression.

L’ordre du clergé avait tracé à son orateur un programme dont les points principaux étaient les suivans : approuver la politique de la régente, surtout en ce qui concerne les mariages espagnols ; se plaindre des empiétemens des cours laïques au détriment des cours ecclésiastiques et demander la suppression de la vénalité des offices ; réclamer la défense et l’accroissement des privilèges du clergé, et l’acceptation du concile de Trente ; pour le cas particulier de la

  1. P. 350-366.