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le président du bailliage d’Auvergne, Savaron. C’était un très savant homme, un esprit hardi, une tête fumante. Rude, avec des flammes intérieures comme les montagnes de son pays, il eût pu s’élever très haut en des temps moins plats. Mais la médiocrité environnante l’étouffait et son talent n’atteignait que très rarement à la hauteur de son courage. Cependant, cette fois, il s’agissait de répondre à la noblesse. Toutes les ambitions et toutes les colères de son ordre grondaient en lui. Il fut passionné et éloquent. Il commença par une jolie et délicate métaphore dans le goût du temps : « Sire, dit-il, le lis est une belle plante droite et d’une naïve blancheur ; vos actions doivent être royales, justes, pleines de piété et de miséricorde. » Puis, par une adroite allusion à un trait de l’enfance du jeune roi : « La justice vous est naturelle, Sire : qui avait appris à Votre Majesté, à l’âge de quatre ans, de trouver mauvais qu’un jeune seigneur en votre présence foulât aux pieds par plaisir les insectes et petits vermisseaux, sinon une justice naturelle qui vous suggérait de la pitié et compassion de voir aussi cruellement traiter de faibles créatures ? » Et alors, entrant hardiment dans le cœur du sujet : « Sire, ce ne sont pas des insectes et vermisseaux qui réclament votre justice et miséricorde ; c’est votre pauvre peuple ; ce sont des créatures raisonnables ; ce sont des enfans desquels vous êtes le père, le tuteur et le protecteur ; prêtez-leur votre main favorable pour les relever de l’oppression sous le faix de laquelle ils ploient continuellement. Que diriez-vous, sire, si vous aviez vu, dans vos pays de Guyenne et d’Auvergne, les hommes paître de l’herbe à la manière des bêtes ? Cette nouveauté et misère inouïe en votre état ne produirait-elle pas en votre âme royale un désir digne de Votre Majesté, pour subvenir à une calamité si grande ? et cependant cela est tellement véritable, que je confisque à Votre Majesté mon bien et mes offices si je suis convaincu de mensonges. »

Et il exposa ainsi, avec des paroles graves et fortes, les misères du peuple. Puis il arriva à l’examen des remèdes et aborda la proposition de la noblesse : « On vous demande, sire, que vous abolissiez la paulette, c’est-à-dire que vous retranchiez de vos coffres seize cent mille livres que vos officiers vous paient tous les ans ; mais l’on ne vous parle point de supprimer l’excès des pensions qui sont tellement effrénées qu’il y a de grands et puissans royaumes qui n’ont pas tant de revenu que celui que vous donnez à vos sujets pour acheter leur fidélité. N’est-ce pas ignorer et mépriser la loi de nature, de Dieu et du royaume, de servir son roi à prix d’argent et qu’il soit dit que Votre Majesté ne soit point servie, sinon par des pensionnaires… Quelle pitié qu’il faille que Votre Majesté fournisse, par chacun an, cinq millions six cent soixante mille livres, à quoi se monte l’état des pensions qui sortent