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Si nous en croyons ses confidences intimes, il n’aimait pas les jésuites. Pourtant il les ménageait et il passait pour un de leurs partisans. Il avait une dialectique nourrie, quelque peu métaphysique, troublante pour les esprits faibles et pour les femmes, par son obscurité même. En somme, habile controversiste, parleur abondant, esprit sage, homme charmant et médiocre, il était fait pour réussir sous le gouvernement d’une reine et, en effet, il avait pris un grand empire sur l’esprit de Marie de Médicis. Sa bonne figure de patriarche, avec la grande barbe et le bonnet bravement planté sur l’oreille, inspirait confiance et ne laissait percer que dans le sourire de l’œil vairon la souplesse des ambitions qui l’avaient conduit si loin, par des chemins si compliqués. Elles n’avaient pas dit leur dernier mot ; dans ses conversations, il aimait à rappeler le souvenir des grands prélats qui s’étaient illustrés à la tête des affaires, Suger, Ximénès. Il ajoutait que les ecclésiastiques étaient les meilleurs et les plus sûrs ministres des rois, « puisque, n’ayant pas d’enfans qui succèdent à leurs desseins, quand ils sont morts, tout est mort avec eux. » Il s’entourait d’un groupe de jeunes évêques qui partageaient ses espérances et secondaient ses projets. On était d’accord dans son entourage pour penser que l’heure était venue de rendre à la robe son ancienne influence dans la direction des affaires publiques.

Cette jeune école ou, si l’on veut, cette coterie se trouvait réunie autour de son chef dans l’assemblée des États. Décidée à saisir une occasion aussi favorable, elle poussait sa pointe et montait à l’assaut du pouvoir. Duperron, toujours prudent, laissait faire. Il aidait ses jeunes amis d’un geste, d’un conseil ou d’un encouragement. Les plus distingués parmi eux étaient Charles Miron, évêque d’Angers, que Duperron lui-même qualifiait « grand orateur, grand personnage et l’un des beaux esprits du siècle, » — c’était, d’ailleurs, une âme fougueuse et qui manqua le but pour l’avoir dépassé ; — René Potier, évêque de Beauvais, que Duperron mettait sur le même rang, mais que son extrême myopie écartait des affaires ; Gaspard Dinet, évêque de Mâcon ; Fenouillet, évêque de Montpellier, orateur plein de charme et de pénétration ; Bertrand d’Eschaux, évêque de Bayonne, prélat bien en cour et ami de Richelieu ; Gabriel de l’Aubespine, évêque d’Orléans, autre familier de Richelieu et dont nous avons déjà signalé le savoir, la vivacité et l’esprit ; enfin notre héros lui-même, Armand du Plessis, évêque de Luçon.

Ces jeunes évêques se partagèrent presque tous les rôles importans dans les délibérations de l’ordre ecclésiastique. Ils laissèrent aux prélats vénérables par leur âge et par leurs vertus les satisfactions d’apparat, mais ils se réservèrent la besogne utile et, par