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doivent penser à leur clientèle, et à une clientèle qu’il ne s’agit plus de charmer, mais plutôt de flatter et de tromper par tous les moyens. »

Et voici la conclusion du dernier article :

« Peut-être va-t-on me demander quels remèdes pratiques je juge capables de mettre fin à cette fâcheuse situation. De remèdes pratiques je n’en vois aucun, et ceux qui m’ont suivi dans mes réflexions comprendront que la situation telle que je l’ai exposée est irrémédiable. Tout au plus peut-on trouver l’indication d’un remède dans ces paroles de saint Paul à Timothée : « Ceux qui voudront rester riches tomberont dans la tentation, et ils éprouveront des désirs insensés et cruels, qui conduiront l’homme à sa perte. Mais toi, évite ces choses, et cherche seulement la droiture, la foi, la résignation, la douceur et l’amour. » Mais ce sont là des paroles que nous entendons lire à l’église le dimanche ; et puis les six autres jours de la semaine nous retournons à nos comptoirs, et nous nous entraînons à nous écraser les uns les autres comme des chiens affamés à l’heure de la pâtée. Et aucune tentation n’est aussi funeste que celle qui porte les hommes à vouloir atteindre la renommée et la fortune par leur habileté artistique. »

M. Harrison n’a rien dit, jusqu’à présent, du théâtre anglais. Peut-être en parlera-t-il dans un prochain article ; mais s’il n’en parle pas, c’est sans doute parce qu’il considère le théâtre anglais comme mort depuis des siècles. Et en cela du moins il ne sera pas seul de son opinion. Il y a un an à peine, un grand journal anglais a publié une sorte d’enquête sur les causes qui empêchaient l’existence en Angleterre d’un art dramatique national. Les réponses ont été nombreuses et diverses ; mais toutes, ou à peu près, admettaient la nullité de l’art dramatique anglais contemporain comme un fait incontestable. On sait, d’autre part, que d’année en année le nombre des théâtres de Londres diminue, tandis que le nombre des music-halls, ou calés-concerts, grandit dans d’assez inquiétantes proportions. L’optimisme anglais se console d’ailleurs, sans trop de peine, de tout cela : il en est quitte pour déclarer que l’art dramatique est un art inférieur, un art de simple amusement, et fait pour des races frivoles.

Mais c’est de quoi ne se contente pas aussi aisément une catégorie spéciale du public anglais, la catégorie des auteurs dramatiques. Ceux-là n’entendent point qu’on les traite de vulgaires amuseurs. Et voici en quels termes enthousiastes l’un d’eux, M. Henri-Arthur Jones, dans la New Review, célèbre la renaissance prochaine du théâtre anglais :

« Nos mœurs dramatiques changent à vue d’œil, dit-il, et toutes les saisons y amènent d’étonnans progrès. Nous avons enfin cessé de traduire et d’adapter des pièces françaises. L’intelligence du public de nos théâtres s’est infiniment développée. La distinction du théâtre d’art et du théâtre d’amusement s’est elle-même effacée. Et bientôt nous verrons