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qu’il a douté de l’utilité pratique de la science, et déploré l’affaiblissement du bon goût.

À tout cela, M. Pearson répond comme en s’excusant, avec un ton de modestie et d’humilité. Mais il répond à tout, et sa réponse fortifie encore les conclusions de son livre.

Voici, par exemple, comment il se défend d’avoir désespéré de l’avenir de la littérature anglaise : « Je n’ai point eu l’intention, dit-il, de conclure de la décadence actuelle de notre littérature à l’impossibilité absolue de son relèvement. Il est possible que l’énergie intellectuelle de notre race, accaparée aujourd’hui par les soucis de la spéculation, des trafics et de l’organisation, revienne un jour à des buts plus nobles. Incontestablement il y a des genres littéraires qui sont épuisés, et d’autres qui sont bien usés : mais je n’ignore pas que c’est le privilège du génie d’étonner le monde par intervalles, en ressuscitant ce que l’on croyait mort. Il suffit qu’une grande œuvre naisse pour qu’on la juge nouvelle. Deux choses toutefois sont à prendre en considération. C’est d’abord que, si la nature humaine reste en substance toujours la même, le temps et la civilisation ne sont pas moins en train d’en modifier l’apparence : ils amènent à leur suite une monotonie dans les esprits et les caractères qui ne peut manquer de rendre plus difficile la tâche de l’artiste créateur. La vie sans cesse devient plus banale, et avec la vie l’âme humaine. D’autre part, je veux bien admettre que les découvertes de la science laisseront intacte cette partie supérieure de notre nature qui est le domaine des poètes. Mais il n’en est pas moins certain que notre humanité savante et affairée se détachera chaque jour davantage de ces sentimens héroïques que nous aimions à retrouver jadis dans l’œuvre des poètes : et je n’arrive pas à me convaincre que l’étude des bactéries présente aux écrivains de l’avenir la même source d’inspiration que présentait à leurs devanciers l’étude des passions du cœur. »

Mais M. Pearson désespère de tant de choses, dans son livre et dans son article, que ce qu’il dit de la littérature pourrait passer inaperçu. C’est spécialement sur la décadence de la littérature et de l’art que prétend insister un autre écrivain anglais, M. Frédéric Harrison ; et les articles qu’il publie depuis six mois dans le Forum répètent, développent, aggravent, avec une extrême variété d’argumens et de points de vue, la triste prophétie de M. Pearson.

M. Frédéric Harrison est un des esprits les plus clairs et les plus compréhensifs de notre temps. Comme en France M. Pierre Laffitte, il est, en Angleterre, le chef de l’école positiviste : mais son positivisme est autrement libre, et large, et profond, que celui de son coreligionnaire français ; sans compter que M. Harrison y joint une constante indépendance d’allures, et une fantaisie, une fraîcheur d’impression, une fermeté de style tout à fait particulières. Depuis quelques