Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/442

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce dualisme et ce double emploi, dans les droits à l’importation, semblent ne pouvoir durer toujours.

Grevés de l’intérêt des emprunts et du prix relativement élevé de la main-d’œuvre, les bénéfices de l’industrie sucrière sont moindres que ceux de la distillerie, quelque bas que soient les prix des tafias. Le commerce d’importation réalise les gains les plus sérieux. Quant aux salaires, ils varient de 1 fr. 25 à 2 fr. 50 pour les cultivateurs. Les ouvriers des villes gagnent de plus fortes journées, de 4 à 5 francs. Les Indiens immigrans sont de tous les moins rétribués, mais ils sont, pour ceux qui les emploient, l’occasion de tant d’ennuis et de dépenses que parfois on se demande s’il ne vaudrait pas mieux payer aux travailleurs nés aux Antilles le salaire qu’ils exigent que de recourir à une main-d’œuvre étrangère et inférieure. Ah ! si l’on pouvait réconcilier pour jamais, sur une base de ce genre, les régnicoles et le travail des champs !


II

Ces choses entrevues, voyons les hommes. M. Elisée Reclus leur trouve une certaine ouverture d’esprit, de la sagacité dans le jugement, de la finesse dans les aperçus. M. Maxime Du Camp remarque que toutes les races ne sont pas les mêmes, qu’elles n’ont pas toutes les mêmes aptitudes, et (je cite de mémoire) il avance que c’est une erreur que de vouloir imposer à des races différentes de la nôtre nos coutumes et nos habitudes d’esprit. Ces réflexions ne sauraient s’appliquer aux habitans des Antilles françaises. M. Elisée Reclus parle des noirs d’Haïti : ce sont les peuples musulmans que M. Maxime Du Camp a en vue. La population des Antilles a son génie propre. Elle a reçu et gardé l’empreinte française. Pour un peu superficielle que soit cette empreinte, elle n’en suffit pas moins à caractériser les individus et les mœurs. Est-ce à dire que tous les élémens de la population ont ressenti au même degré les bienfaits de la politique généreuse de la France ? Faut-il cacher que de même qu’il y a des illettrés dans certains départemens de la France continentale, il se trouve à la Guadeloupe et à la Martinique de braves noirs, très doux et fort laborieux, et qui ne sont pas très différens de ce qu’ils seraient si leurs ascendans n’avaient jamais été violemment arrachés à l’Afrique ? Dissimulera-t-on davantage qu’à l’instar de ce qui se passe, par exemple, dans le Roussillon ou en Corse, dans notre Midi ensoleillé et violent, les querelles politiques sont singulièrement enflammées aux Antilles, que l’on s’y maltraite fort par la plume, la parole ou l’épée, quand ce n’est pas par le fusil, et que les luttes des