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naturelles du sexe. On répondra que le génie masculin est également et doit rester une exception, et nous en convenons sans peine ; mais le rôle et les occupations sociales de l’homme, si elles n’exigent pas le génie, exigent une force d’intelligence, une vigueur d’esprit scientifique, qui ne sont point nécessaires à la femme, qui même pourraient lui être nuisibles dans l’accomplissement de ses vraies fonctions. Ni physiquement, ni intellectuellement, elle n’est faite pour les rôles d’Hercule.

Pour toutes ces raisons, il y a eu plutôt parmi les femmes de grands talens fins et délicats, et aussi quelques génies psychologiques, que des génies proprement créateurs, rénovateurs et « faisant école, » soit dans les sciences, soit même dans les arts. On ne se figure pas bien une femme Shakspeare ou Victor Hugo, une femme Aristote ou Descartes, une femme Beethoven ou Wagner. Celles qui se sont le plus approchées du génie créateur se sont aussi fortement rapprochées de l’autre sexe par leurs tendances d’esprit et parfois de volonté. M. Secrétan a raison de dire que, dans la femme qui fait preuve d’un talent trop « spécial, » un homme est caché ; de même, il y a quelques hommes « universels ; » mais ils ne sont pas universels s’ils n’ont dans leur cœur un « cœur de femme. » C’est surtout, croyons-nous, au domaine moral que cette belle parole s’applique. Et c’est aussi dans ce domaine que la femme retrouve une supériorité qui compense son intériorité scientifique. Il y a un génie moral qui est fait d’amour, de tendresse et de dévoûment. Ce génie-là, les femmes l’ont manifesté mille fois ; il est en germe dans chaque mère.


V

Mme Necker de Saussure a marqué d’un trait exact le caractère dominateur et « personnel » de la volonté chez les hommes : « Leur moi, dit-elle, est plus fort que le nôtre. » Chez la femme, la tendance instinctive de la volonté est de se donner, de se dévouer à autrui. Spencer prétend que ce dévoûment, qui peut aller jusqu’à l’héroïsme, aura plutôt en vue les personnes que les idées ; il voit là une nouvelle infériorité intellectuelle, ou même affective, parce que, dit-il, les produits derniers de l’évolution humaine sont « le raisonnement abstrait et l’émotion abstraite de la justice, qui règle la conduite indépendamment des liens personnels, des sympathies et antipathies inspirées par les individus. » Les femmes pourraient répondre d’abord que des points de vue divers, quand ils se complètent, ne sont pas intérieurs l’un à l’autre ; les abstractions, en définitive, valent seulement par le particulier, dont elles ne sont que les signes logiques. Mais, contrairement