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modérée dans les questions où sa personnalité et celle des siens ne sont pas en cause, son jugement est plus circonspect, plus prudent, plus réservé. C’est, disait Proudhon, « la Minerve protectrice d’Achille et d’Ulysse, qui apaise la fougue de l’un et fait honte à l’autre de ses paradoxes ou de ses roueries[1]. » Ce misogyne de Schopenhauer lui-même, après avoir doté les femmes pour toute leur vie d’une « raison de dix-huit ans, strictement mesurée, » oublie bientôt son paradoxe et confesse que, dans les circonstances difficiles, il ne faut pas dédaigner de faire appel, comme autrefois les Germains, aux conseils des femmes. Les Germains en effet, nous dit Tacite, croyaient qu’il y a « quelque chose de saint et de prévoyant qui est inné aux femmes ; aussi ne dédaignaient-ils point leurs avis et ne rejetaient-ils point leurs réponses. »

il est bien difficile de déterminer, parmi les qualités ou défauts de l’intelligence, ce qui tient à la nature même de la femme, et ce qui tient aux effets accumulés d’une instruction inférieure, continuée pendant des siècles. Toutefois, la spécialité du talent nous semble être bien plutôt la suite naturelle de la tendance à la différenciation qui caractérise la nature masculine. De même pour l’originalité. L’intelligence de l’homme va d’elle-même à la variation et à la nouveauté. La femme, avec son esprit conservateur et stable, utilise les effets des « variations » passées plus qu’elle n’aspire à des modifications nouvelles ; elle représente la part de raison et de sagesse déjà acquise, intégrée, fixée dans l’espèce ; elle a donc, en général, plus de « sens commun. » En matière d’esthétique, elle sera moins portée aux innovations et aux excentricités du génie ; elle aura

  1. Selon M. G. Le Bon, la pénétration féminine est de même ordre « que l’instinct qui dit au singe si l’aliment qu’il tient à la main lui sera utile ou nuisible, à l’abeille quelle est, parmi les formes innombrables qu’elle pourrait donner à son alvéole, celle qui contiendra le plus d’espace avec le moins de dépense de matériaux. » Ayez donc de la finesse ! On vous dira que vous ressemblez aux bêtes. Selon Spencer, la pénétration féminine serait un résultat en quelque sorte adventice des longs siècles de barbarie pendant lesquels la femme, être plus faible, était obligée de recourir à l’art de deviner, et même à la ruse, pour suppléer à la force corporelle. « La femme qui, à un geste de son mari sauvage, à une intonation, à la physionomie, devinait instantanément la colère naissante, pouvait échapper à des dangers dans lesquels une femme moins habile à interpréter le langage naturel du sentiment se serait précipitée. » De là « des chances de vie supérieures. » C’est vraiment pousser le darwinisme à l’extrême, et la subtilité jusqu’à la naïveté. Qui croira que la finesse féminine soit due à ce que les femmes les plus rusées n’ont pas été tuées ou mangées par leurs maris. Nous touchons ici aux contes d’ogres et de petits poucets. M. Spencer va jusqu’à voir dans cette sélection des âges barbares le germe du « talent psychologique, » de George Eliot. Il résulte de ces origines, dit-il, « une habileté extrêmement remarquable à interpréter les dispositions d’esprit des autres. Nous en connaissons un exemple vivant, qu’aucune femme jusqu’ici n’a égalé, que peu ou point d’hommes ont surpassé. » C’est sans doute aussi, en France, à la brutalité de nos ancêtres sauvages que nous devons les observations psychologiques de George Sand !