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l’assimilation de la femme à l’enfant, — lieu-commun si fréquent chez les écrivains de toute sorte, — c’est une erreur biologique autant que psychologique. Il y a sans doute un trait commun à l’enfant et à la femme : la prédominance de la vie intégrative et sensitive, mais sous des formes tout à fait diverses. Ici, il s’agit d’un être non encore développé, qui n’emploie sa puissance d’intégration qu’à son développement personnel, qu’à sa croissance physique et mentale. De là ces sentimens égoïstes si naturels à reniant. Les sentimens de la femme, au contraire, vont généralement vers autrui. Rapidement développée, elle emploie son pouvoir intégrateur au profit de la famille et de l’espèce ; et si elle reste plutôt sensitive qu’énergiquement active et motrice, ce n’est pas le moins du monde à la manière de l’enfant, chez qui la pauvreté même, la simplicité des sentimens leur donnent une vivacité artificielle et un caractère explosif. La femme est riche de sentimens complexes et organisés : c’est un cœur développé et non embryonnaire.

Par une incroyable injustice, on a essayé de tourner les qualités mêmes du sexe féminin, et les plus belles, en marques d’infériorité. Parle-t-on, comme nous venons de le faire, de l’amour maternel, ou encore de l’amour conjugal, certains hommes de science (qui nous paraissent interpréter à rebours les faits scientifiques) ne craindront pas d’en tirer argument pour rapprocher la femme des « mammifères inférieurs. » L’amour maternel, dit le docteur G. Le Bon, est bien autrement développé chez certains singes. La guenon, par exemple, ne survit jamais à la mort de ses petits. Certains oiseaux contractent des unions indissolubles où ils font preuve des sentimens les plus tendres, et l’amour éprouvé par la femelle pour son compagnon est si profond qu’elle meurt bientôt de douleur quand la mort vient le lui enlever. D’où on insinue que les femmes « représentent les formes les plus inférieures de l’évolution humaine. » Nous dirons, tout au contraire, que l’amour de la progéniture, chez les animaux, est le représentant anticipé, sous la forme de l’instinct, de l’évolution supérieure. Parce que le sentiment maternel existe depuis qu’il y a des mères, est-ce une raison pour en méconnaître et la valeur et la beauté ? Appliquez ce mode étrange de raisonnement aux « supériorités masculines, » vous les verrez, elles aussi, remonter aux étages inférieurs de l’évolution. Qu’y a-t-il de plus antédiluvien que ce courage dont se targue le sexe fort ? Les lions aussi sont courageux, et ils sont plus forts que nous. Les sauvages sont plus hardis et plus vigoureux que les civilisés ; ce n’est pas une raison pour déprécier le courage, ni même la vigueur corporelle. Est-ce le plein jour qui est