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— Et tous, mes frères, vous êtes avertis de venir à la Pentecôte en la présence du roi, pour recevoir un pape, puisqu’il est reconnu que celui-ci n’est pas un pape, mais un loup dévorant.

Grégoire demeura impassible. Mais les pères se levèrent brusquement en proférant des menaces. L’évêque de Porto cria : « Qu’on saisisse cet impie ! » Le clerc de Parme, épouvanté, se réfugia au pied du trône. La milice du préfet, épées nues, envahit alors le sanctuaire et s’empara du sacrilège. Grégoire ordonna qu’on le conduisît aux prisons de Rome pour qu’il y fît sa pénitence.

Longtemps arrêtés par la foule houleuse des moines qui encombraient les nefs, Joachim et son protégé parvinrent enfin à se frayer un chemin derrière les bancs du concile et à se glisser tout près de Grégoire. Celui-ci s’était levé à son tour et dans l’église tout d’un coup silencieuse, il prononçait d’une voix frémissante l’anathème contre l’empereur. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, il dépouillait Henri de la dignité impériale, lui interdisait le gouvernement du royaume teutonique et la primauté féodale de l’Italie. Il déliait tous les chrétiens du serment de fidélité envers le roi parricide, le déclarait rebelle, hérétique et excommunié.

À ce moment, une voix dit à son oreille :

— C’est une grande œuvre d’abattre un empereur et d’ébranler la chrétienté ; c’est une œuvre meilleure de raffermir une conscience. Ayez pitié de votre Victorien que son maître Egidius prend à Dieu pour le jeter à Satan.

Grégoire se retourna à demi. Il regarda longuement les deux supplians, le jeune garçon éperdu, la face douloureuse, l’évêque irrité et serrant l’enfant entre les plis de son manteau. Il se souvint alors de la nuit tragique dans laquelle il avait tenu ainsi Victorien la tête appuyée sur son cœur. Il comprit le drame que Joachim venait lui dénoncer, l’acte de miséricorde qu’il allait réclamer de sa justice. Un rayon de mansuétude éclaira son front.

— C’est bien, dit-il. Prenez-le, mon ami, et que Dieu me pardonne. D’ailleurs, Egidius a quitté ce matin Rome pour longtemps. Je l’envoie aux évêques de Saxe qui m’aideront à reconquérir l’Allemagne à Jésus-Christ. Moi, je suis plongé, Joachim, dans la fosse aux lions. Vous êtes plus heureux, vous que berce toujours le rêve de l’église antique, mon rêve de jeune moine, que la réalité a dissipé. Je vous donne Victorien ; prodiguez à ce petit le lait et le miel de votre charité.

Joachim s’inclina sous la main du pontife. Puis il poussa doucement son pupille, parmi bien des détours, vers la porte de l’église.

À ce moment, le cardinal archidiacre, debout au pupitre de l’Évangile, lisait d’une voix éclatante le Dictatus papœ, la charte