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à se retirer. Il sortit des Thermes, mais n’osa point cheminer du côté de la tour des Saints-Jean et Paul. Il passa au pied du monastère de Saint-Grégoire-le-Grand, revint à l’arc de Constantin et, après quelques minutes d’hésitation, se jeta brusquement dans le Colisée. Sous l’arcade où, la veille, il avait aperçu une lueur, il trouva, étendus autour de leur foyer éteint, une douzaine de personnages, patibulaires de figure, qui le saluèrent avec courtoisie. Ils conversèrent tout ce jour-là du passé et de l’avenir, et le baron attendit sans ennui au milieu de ces gentilshommes que le couvre-feu eût invité les Romains à tirer le verrou de leurs logis. Il reprit alors le chemin de son château, pareil à un bourgeois prudent qui cache avec soin son visage, afin de n’être point reconnu dans sa promenade nocturne.


II. — LA MESSE DE MINUIT DE GRÉGOIRE VII.

La veille de Noël, le bruit courut dans Rome que le pape célébrerait à Sainte-Marie-Majeure la messe de minuit. C’était la vieille basilique populaire : au pilier le plus proche du maître-autel, les fidèles vénéraient l’image miraculeuse d’une madone et d’un bambino, ouvrage de l’apôtre saint Luc, apportée d’Asie par les anges. Chaque fois que la peste sévissait, les prêtres promenaient à travers les rues l’antique icône toute brillante d’or et de diamans, et Dieu apaisait le fléau. La nuit de Noël était la grande fête de Sainte-Marie-Majeure : on s’y rendait de toutes les régions de Rome et, dans la solitude farouche de l’Esquilin, l’église rayonnante et sonore souriait de loin à la foule des pèlerins et des pâtres qui accouraient à elle, comme jadis les bergers de Palestine à l’étable de Bethléem.

Depuis trois jours, le siroco soufflait avec fureur et de gros nuages s’amoncelaient à tous les côtés de l’horizon. Vers le soir, les montagnes de Tivoli et de Tusculum se voilèrent et le tonnerre commença à résonner sur la mer. L’obscurité se fit tout d’un coup et un orage affreux se déchaîna. La pluie fut si violente que l’on crut, dit un chroniqueur contemporain, au retour du déluge biblique. La foudre éclatait à la fois sur toutes les collines ; sans cesse les éclairs violets déchiraient la nue et l’embrasement du ciel montrait les noires silhouettes des campaniles et des tours, les cyprès du Monte-Mario courbés, tordus comme des épis, la ligne indéfinie des aqueducs, les forteresses féodales éparses dans la campagne ; parfois, l’incendie courait jusqu’à l’Apennin et les montagnes rocheuses de la Sabine se dressaient, toutes blêmes, comme en une vision d’Apocalypse.