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LA CHIMIE DANS L’ANTIQUITÉ.

Les traités postérieurs à la chute de l’empire romain sont essentiellement techniques ; la partie théorique et philosophique des ouvrages de leurs prédécesseurs a presque entièrement disparu, en même temps que la puissance intellectuelle des générations successives s’est abaissée. Cependant on en retrouve encore quelques traces, ainsi que des pratiques superstitieuses destinées à assurer le succès des opérations.

Les ouvrages techniques écrits en langue grecque ne sont pas les seuls qui aient conservé dans l’Occident la pratique des industries chimiques. En effet, cette langue était inconnue des ouvriers métallurgistes, verriers ou teinturiers de la Gaule et de l’Italie centrale. Ce n’est pas qu’on ne saisisse quelques traces de l’influence des arts grecs dans l’Italie méridionale, assujettie jusqu’au temps des Normands à la domination byzantine.

Il existe à Lucques un vieux manuscrit, écrit vers le temps de Charlemagne, et intitulé Compositiones ad tingenda, etc. « Recettes pour teindre les mosaïques, les peaux, et autres objets, pour dorer le fer, pour l’emploi des matières minérales, pour l’écriture en lettres d’or, pour faire les soudures, et autres documens des arts. » Or, on lit dans ce manuscrit des recettes sur la pulvérisation de l’or et de l’argent, recettes grecques, transcrites en lettres latines, probablement sous la dictée, par un copiste qui n’entendait rien à ce qu’il écrivait. Les orfèvres italiens, qui utilisaient les procédés des Compositiones, empruntaient évidemment leurs recettes aux maîtres ès-arts de Constantinople. Les procédés pour réduire les métaux précieux en poudre avaient alors une importance exceptionnelle : non-seulement parce que les corps amenés à cet état servaient à la dorure et à l’argenture, mais aussi parce que l’on pouvait transporter les métaux précieux d’un pays à un autre, en leur donnant l’apparence de matières terreuses et sans valeur. Ce mode de transport a été usité pendant tout le moyen âge, en dépit des interdictions légales, et on conçoit que les recettes en aient été tenues cachées par l’emploi d’une langue étrangère aux artisans.

On peut établir l’existence d’ouvrages latins, d’un ordre plus élevé et d’une composition plus méthodique, qui paraissent avoir été traduits du grec, au temps même de l’empire romain, pour l’usage des orfèvres, sans avoir passé par la tradition byzantine. Je veux parler d’un grand ouvrage qui nous est parvenu par des manuscrits du xe et du xiie siècle, sous le titre de Mappœ clavicula : « Clé de la peinture. » Il renferme la plupart des recettes des Compositiones, et j’en ai rencontré des fragmens étendus dans les manuscrits alchimiques de la fin du xiiie siècle. C’était donc un ouvrage fort ré-