Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/332

Cette page a été validée par deux contributeurs.
326
REVUE DES DEUX MONDES.

quand on les relit en se guidant d’après cette idée, ne sont nullement chimériques ; car elles n’expriment pas autre chose que la préparation des alliages simulant l’or et l’argent, et celle des teintures et vernis superficiels. Cependant, les orfèvres alchimistes, tout en fraudant les acheteurs et en leur vendant des bijoux à bas titre et falsifiés, n’en étaient pas moins dupes de leurs propres théories. Nous avons vu reparaître de notre temps les vieux rêves de la magie, si puissans en Égypte et à Babylone ; or c’était, je le répète, sur les formules magiques que les alchimistes comptaient pour compléter leur œuvre et mener jusqu’au bout la mystérieuse transmutation, dont ils prétendaient faire chaque jour la démonstration devant le public. Comme il est arrivé trop souvent aux prophètes orientaux, ils trompaient le public par des tours de prestidigitateurs ; mais en même temps ils croyaient au fond posséder réellement la puissance dont ils se targuaient. C’est l’histoire de la plupart des mystiques et nous voyons aujourd’hui se reproduire les mêmes illusions sous nos yeux, dans les prétentions de l’hypnotisme et de la télépathie.

J’ai connu, il y a quelques années, l’aventure d’un alchimiste contemporain, qui prétendait fabriquer de l’argent. Un jour, ayant épuisé ses ressources, il porta au mont-de-piété quelques lingots de l’un de ses alliages, en déclarant qu’ils contenaient 85 centièmes de leur poids d’argent. Le commissaire du mont-de-piété eut la naïveté d’accepter sa déclaration et de lui prêter le tiers de la valeur déclarée. Le prêt n’ayant pas été remboursé, on envoya le lingot à la Monnaie pour en réaliser la valeur : les essayeurs y trouvèrent seulement trois centièmes d’argent. Jusqu’ici cette histoire n’a rien de surprenant. Mais l’alchimiste, mis en arrestation, soutint son dire. Il prétendit que les savans officiels avaient des procédés d’analyse insuffisans et qu’il se faisait fort de démontrer devant les juges la composition qu’il avait assignée à son alliage. Son avocat demandait même qu’il pût faire cette preuve devant le tribunal : peut-être l’alchimiste était-il convaincu et croyait-il à l’efficacité de quelque formule secrète pour réaliser son miracle.

Les théories sur lesquelles les alchimistes s’appuyaient n’en méritent pas moins toute notre attention, à cause de leurs fondemens à la fois techniques et philosophiques. L’idée de la teinture des métaux était même généralisée par eux et étendue à toutes sortes d’autres problèmes, d’un intérêt industriel non moins puissant. C’est ainsi qu’ils teignaient le verre et lui communiquaient l’apparence des pierres précieuses naturelles. Là aussi les alchimistes avaient la prétention d’imiter et de reproduire la nature. Les émeraudes, les saphirs, les rubis naturels étaient, disaient-ils, reproduits