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La conduite de l’adjudant Laborde, en cette occasion, fut des plus vigoureuses. En quittant la place Vendôme, où il avait arrêté le général Malet, il courut au ministère de la police, mit la main sur Lahorie, déjà, établi dans le cabinet du ministre, mais assez inquiet. Il était impossible qu’il ne se fût pas douté que le général Malet avait abuté de sa crédulité. Confiant dans sa parole, il avait été chercher, à l’Hôtel de Ville, le gouvernement établi par le sénatus-consulte ; son étonnement fut extrême de n’y trouver que deux compagnies de la 10e cohorte, envoyées par Malet pour en prendre possession. Personne ne pouvant lui donner le moindre renseignement sur le prétendu gouvernement provisoire, il avait pris le parti de revenir au ministère. Étonné de la tranquillité qui régnait dans toute la ville, où nul ne paraissait instruit d’un événement aussi grand que la mort de l’empereur et le renversement de son gouvernement, il était plongé dans ses réflexions lorsque parut Laborde qui le fit prisonnier. C’était après cette expédition et sur les ordres du ministre de la guerre, que Laborde était venu à la Force, accompagné de M. Saulnier, et nous avait délivrés.

En arrivant sur le quai, nous rencontrâmes la tête d’une colonne de grenadiers de la garde impériale qui vint rangée devant le ministère, attendre des ordres ; sa présence seule était une suffisante garantie que la tranquillité ne serait pas troublée. On crut donc que tout était fini, ce fut alors cependant que je courus personnellement le plus grand danger.

Ma présence à la préfecture de police devant être nécessaire, je me hâtai d’y retourner. Je commis l’imprudence d’y aller à pied, sans escorte. Pendant mon absence, les soldats de la cohorte, restés en possession de l’hôtel, ayant été rejoindre la compagnie dont ils faisaient partie, avaient été remplacés par la compagnie du bataillon de la garde de Paris auquel Malet avait assigné cette destination. Celle-ci était commandée par le lieutenant Beaumont.

Arrivé à l’entrée de l’hôtel, voyant la cour remplie de soldats, j’appelai le commandant et lui signifiai qu’il eût à reconduire sa troupe à la caserne. Je crus que ma vue seule devait suffire pour lui apprendre que tout était changé ; les militaires, j’aurais dû le savoir, n’obéissent pas avec tant de facilité aux ordres d’un fonctionnaire civil. Le changement, si brusque d’ailleurs, ne fut pas admis par l’officier, qui, encouragé par un sergent qui paraissait fort animé, refusa tout à fait de se soumettre à mon injonction et cria à sa troupe de prendre les armes. Ce fut le signal d’une manifestation accompagnée de cris : « Il faut l’arrêter, il faut le tuer ! » Heureusement, j’étais encore auprès de la porte ; je me rejetai au milieu de la foule de curieux qui s’y pressait et remontai la petite