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Lorsque les événemens de la campagne de Russie commencèrent à produire l’impression générale dont j’ai tâché de rendre compte, Malet crut que la chute de Napoléon, non-seulement pouvait, mais devait être immédiate. Il se persuada qu’elle serait facilement décidée par le plus léger effort, surtout si cet effort était tenté dans la capitale. Ce fut sur cette idée qu’il bâtit son plan. M. Lafon a affirmé que ce plan avait été connu des royalistes qui partageaient la réclusion du général. Il faut observer que M. Berthier n’en faisait déjà plus partie ; j’avais obtenu sa liberté définitive dans le même conseil où la permission de passer en Amérique avait été accordée au général Lahorie il avait été seulement astreint à se retirer chez une de ses sœurs, en Languedoc. Quant à M. de Puyvert, dont les paroles méritent d’être crues, il a affirmé qu’il n’avait absolument rien su. Restent MM. de Polignac. M. Lafon prétend qu’ils furent effrayés des conséquences de l’entreprise ; il attribue à la crainte de se voir compromis par une habitation commune avec le général, la demande qu’ils formèrent alors d’être transférés dans une autre maison de santé, située faubourg Saint-Jacques. La coïncidence de cette démarche avec l’événement donne quelque force à cette assertion.

Quand le complot éclata, il n’y avait plus dans la maison de santé du faubourg Saint-Antoine que le général Malet, M. de Puyvert et l’abbé Lafon ; M. de Puyvert n’a pris aucune part à l’action, elle appartient donc tout entière au général et à l’abbé. Persuadés l’un et l’autre que les conspirations échouent presque toujours par l’indiscrétion ou la trahison des individus trop nombreux qu’on se croit obligé de mettre dans la confidence, ils résolurent de renfermer le plus possible leur secret, mettant l’espoir du succès dans la surprise qu’ils causeraient à ceux dont ils comptaient se servir, comme à ceux qu’ils devaient attaquer. M. Lafon, dans son récit, prétend qu’il avait de nombreux correspondans, que des intelligences étaient ménagées avec beaucoup de militaires, que tout enfin avait été disposé par ses soins pour un soulèvement à Paris et dans les provinces. Je donnerai plus tard une preuve qui me semble irrécusable de la fausseté de cette assertion.

Les moyens employés par eux furent aussi simples que téméraires. Profiter de la nuit pour se présenter à la porte de deux casernes, annoncer la mort de Napoléon, donner lecture d’un sénatus-consulte supposé, qui abroge le gouvernement impérial, qui établit un gouvernement provisoire et investit le général Malet de tous les pouvoirs nécessaires pour commander la force armée, la requérir, la commander comme il conviendra ; avoir ainsi à sa disposition une cohorte et un bataillon d’un régiment ; conduire