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locataire principal et c’est pour cela qu’ils cherchent à se renseigner, auprès de la police, sur la moralité des femmes qui veulent louer un appartement ou une chambre. La police, de son côté, se montre très réservée toutes les fois qu’il s’agit de donner des renseignemens, d’une part afin d’éviter qu’on en lasse un mauvais emploi, et aussi pour ne pas rendre trop difficile aux filles de se loger. Les filles sans domicile constituent une catégorie particulièrement dangereuse.

Le 21 octobre 1891, le roi de Prusse adressait à son ministère d’État un rescrit qui témoignait de l’impression profonde produite par les révélations du procès Heinze. « Ce procès, disait Guillaume II, a fait éclater une fois de plus, d’une façon effrayante, le fait que le métier de souteneur accompagnant une prostitution étendue dans les grandes villes, et notamment à Berlin, est devenu un danger qui menace l’État et la société. Afin de combattre énergiquement cette plaie, il faut se demander, en premier lieu, dans quelles mesures les lois existantes permettent de faire la guerre aux souteneurs. Cette mission incombe à la police et aux tribunaux. Il faudra faire un devoir à la police d’agir avec vigueur, et, au besoin, sans scrupule contre cette classe dégradée, mais en même temps il faudra assurer les agens chargés de la répression que l’énergie de leur attitude aura non-seulement droit à la reconnaissance, mais encore, le cas échéant, qu’ils me trouveront prêt à les protéger. En ce qui touche l’application des lois existantes, il faut faire de grands efforts pour que les tribunaux, dans leurs arrêts, ne se laissent pas guider par une fausse humanité, et que même à ceux qui comparaissent devant eux pour la première fois, ils n’hésitent pas à appliquer des pénalités sévères. Il sera utile également de rechercher dans quelle mesure le code pénal actuel a besoin d’être amendé. »

Ce rescrit, auquel manquait le contre-seing d’un ministre et dans lequel on a voulu voir un empiétement sur l’indépendance de la magistrature, porte l’empreinte de l’énergie primesautière du jeune empereur.

D’autre part, on a justifié l’absence d’une signature ministérielle au bas de ce rescrit en disant qu’il fallait le considérer comme l’expression, en quelque sorte, des vues privées du souverain et comme une preuve de la sollicitude avec laquelle il envisage la sécurité de sa capitale. Quoi qu’il en soit, il en est sorti un projet de loi visant le règlement de la prostitution et aggravant les peines prononcées contre les souteneurs.

Le souteneur marié qui favorise la débauche de sa femme tombera sous le coup de la loi. Le proxénétisme sera puni d’un an à cinq ans de travaux forcés, lorsque le coupable sera le mari, le père, le