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à minuit. Cette mesure avait eu pour conséquence de faire refluer la prostitution dans la rue ou dans les cafés de nuit, que l’on appelle, à Berlin, des cafés viennois. Aussi, en 1886, a-t-on remis à deux heures le moment de la fermeture des bals publics. Les cafés viennois continuent à être le lieu de rendez-vous, la bourse de la prostitution. Mais comme ils ne sont fréquentés que la nuit et seulement par un public spécial, on trouve avantage à les laisser ouverts pour dégager le trottoir.

La police s’occupe naturellement des cafés et débits desservis par des femmes. En 1890, il en existait 924, employant 2,022 femmes. Ceux où l’on sert uniquement de la bière à bon marché ne donnent lieu à aucune plainte, tandis que ceux (y compris les cafés-concerts) où à côté de la bière on débite aussi du vin sont uniquement destinés à exploiter la légèreté et les passions. Des filles en toilette, dont le nombre n’est pas du tout en proportion avec le chiffre restreint des visiteurs, s’efforcent, par toutes sortes de séductions, d’attirer les gens dans les pièces réservées à la consommation du vin ; on y débite très cher des boissons frelatées, qui sont bues par les filles, le débitant, le pianiste. La police est relativement impuissante : ces locaux mal famés doivent fermer à onze heures du soir, et cela se fait en apparence, mais comme ils ne peuvent subsister qu’à l’aide des recettes nocturnes, on y laisse entrer le public initié, à l’aide d’un signal convenu. L’astuce du patron et du personnel rend souvent infructueuses les descentes de police. Le pire, c’est qu’en cas de contravention, la pénalité se borne à une amende insignifiante[1].

La police de Berlin a également dans ses attributions la saisie des livres, images et autres articles obscènes. On a procédé à 41 saisies en 1881, à 15 en 1887, à 22 en 1890. En 1890, on a saisi d’un coup 16,000 exemplaires d’une publication pornographique.

Les négocians qui se livrent à ce trafic sont devenus très prudens. Ils ont cessé de tenir l’article prohibé chez eux et ils ne l’envoient que sur commande. Il arrive d’ailleurs que souvent le client est trompé sur la qualité de la marchandise, et qu’au lieu d’une lecture piquante, on ne lui donne que d’ennuyeux romans.

La législation allemande, en matière de proxénétisme, est bien sévère ; elle expose parfois à une pénalité le propriétaire ou le

  1. Les filles qui servent dans ces cafés, qui se reconnaissent par une lanterne en verre de couleur et qui portent sur l’enseigne : « Bière et vin, » fournissent un gros contingent à la prostitution. Beaucoup d’entre elles viennent de l’Allemagne du Sud. Ce sont d’anciennes femmes de chambre, des vendeuses, des couturières, qui se figurent trouver un métier facile. En réalité, le métier est très dur et mal rémunéré.