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flagellation à son amour et au reste de sens droit qu’il possédait encore. Ce fanatique, qui se mourait de ne pas revoir son épouse éternelle, sa contre-partie désignée par Dieu, finit par découvrir que le seul moyen de la rappeler, c’était de se remarier !

En 1888, en Amérique, il rencontra une dame qui, sans avoir jamais rien lu de lui, ni d’Alice, connaissait toutes ses théories, avait prévu tous les résultats auxquels il croyait être arrivé. C’était la propre petite-fille de Robert Owen, miss Rosamonde Dale Owen. Il fut seulement d’abord question entre eux de s’associer, de combiner leurs forces pour la grande œuvre, mais sur le bateau la dame entra, paraît-il, en relation très intime avec l’âme d’Alice, qui lui conseilla de se faire épouser. Et comme les conseils d’un esprit sont des ordres, Lawrence épousa une seconde femme, afin de continuer à vivre avec la première.

Le lendemain même de son mariage, une pleurésie attaquait ce corps dévoré par la flamme à laquelle il s’était donné en proie depuis plus de vingt ans. La maladie n’était pas grave ; pourtant il alla s’affaiblissant avec rapidité. Son ancienne et excellente amie, lady Grant Duft, le recueillit dans sa maison de Twickenham. Jusqu’à son dernier jour, il resta un causeur brillant, plein de feu, d’aperçus amusans et justes sur tout ce qui ne touchait pas à son idée fixe. Enfin, un jour de septembre, il dit : « Je suis indiciblement heureux, » et comme ses yeux s’obscurcissaient, et que l’air était froid et sombre, il ajouta : « Plus de lumière ! » et rendit son dernier souffle. Ainsi finit, avec les mêmes paroles qu’un grand sage, un fou peu ordinaire.

Et pourtant non, ce n’était pas un fou ! Si jamais vous allez dans une maison de santé, vous n’en trouverez pas comme Oliphant. Il était ardent, brillant, organisé pour l’action. Jusqu’à ses derniers instans il garda du monde extérieur et des hommes la vision la plus nette. La vérité est qu’il se donna très volontairement une névrose mystique.

Cela ne fut pour lui d’abord qu’une attitude simplement littéraire, l’expression de son mépris pour les gens qui disent obéir à une religion de renoncement et n’abandonnent rien, imposent à la foule le respect de leurs défaillances et l’imitation de leurs vices. Puis, comme il avait la conscience religieuse léguée par une longue suite d’ancêtres, il en vint à se dire qu’il fallait conformer sa vie à l’idéal moral qu’il entrevoyait. Mais ses ancêtres avaient usé les symboles chrétiens, par cela même qu’ils y avaient cru, les avaient appliqués à leurs mœurs et figés dans ces mœurs maintenant mortes. À ce moment apparut, à Lawrence, un prophète, un homme qui donnait à ses principes moraux une base à la fois absurde et acceptable pour un chrétien, car si les esprits existent, — et tous les