Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donc que cette jouissance sensuelle inventée par les démons ? Elle la voulut connaître, la connut, et tomba dégradée. Toute l’humanité, attaquée par les Siddim, faillit disparaître, ne trouva de salut qu’en se réfugiant dans l’animalité, car la brute n’est pas soumise à l’influence des esprits, elle est, vis-à-vis d’eux, sourde, muette, insensible. Pour continuer à vivre, il fallut que l’homme s’abaissât jusqu’à elle : lentement son corps impalpable acquit la lourdeur grossière qu’il possède maintenant, une « croûte » recouvrit l’homme saint et réel. Cette métamorphose d’ailleurs se fit lentement. Des hommes restèrent longtemps purs, vivans témoignages de l’état ancien, les yeux ouverts à ce qui était pour d’autres l’invisible. Tel Melchisédech, et c’est pourquoi tout ce qui vient de lui et parle de lui éclate d’une grande lueur solitaire.

« Cependant la dégénérescence accomplit son œuvre. Les deux sexes étaient maintenant séparés par la honte. La femme, qui avait été la grande pécheresse, était aussi la plus déchue ; elle lut l’être impur par excellence. Tout crime, toute lâcheté, toute souillure vint d’elle. Les civilisations antiques n’eurent qu’un but, se protéger d’elle, enchaîner l’obstinée coupable. Elle vainquit pourtant d’abord. La polygamie, qu’on croit une victoire de l’homme, fut son asservissement, elle tua sa force et sa volonté.

« Durant ces temps, le divin féminin, la partie de Dieu qui est Amour, pleurait. Descendant en ondes sur la terre, elle rencontra une vierge et la rendit féconde : c’était Marie, mère de Jésus, qui fut grand surtout pour avoir rétabli la sainteté du mariage sur la terre et dans le ciel. Les hommes n’oublièrent plus, et le moyen âge, revenant aux lieux où le Christ était mort, comprit la vérité, eut le premier l’amour de la dame élue, à laquelle on s’unit d’une sorte indissoluble et chaste. C’est ce qui fit de Dante un homme divin.

« Enfin, après l’œuvre accomplie par les révélateurs juifs, hindous, arabes, après le long effort des cerveaux pour acquérir par l’analyse cette science des formes de la nature qu’elle possédait jadis d’une seule illumination, les temps sont vraiment venus. L’humanité est arrivée à une sensibilité nerveuse qui n’est pas une maladie, mais le commencement de la santé ; jamais nul siècle plus que le nôtre n’a eu de ces hommes qui perçoivent l’influx divin. Ils souffrent, ils jouissent avec une acuité subtile que leurs ancêtres n’auraient jamais imaginée, avec une telle puissance qu’eux-mêmes s’étonnent de voir que tout devient conscient en eux, que toutes leurs sensations physiques se spiritualisent, que cette vieille séparation de la matière et de l’esprit disparaît, que les deux ne font qu’un, n’ont jamais été qu’un.

« Pour ceci comme pour toutes choses, il faut une méthode. Et