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larges vérandahs qui les abritent des ardeurs du soleil. La table est bonne, le service suffisant. Tous les samedis soir, un bal réunit dans les salons de fête les pensionnaires de l’hôtel et les résidens de la ville. Sous les vastes portiques, dans les hautes salles, partout des fleurs, de la verdure, de grands fauteuils à bascule, des hamacs, tout le confort dont les Anglo-Saxons aiment à s’entourer. Ici, la vie matérielle n’est pas dispendieuse et, tout en ne faisant payer à leurs hôtes qu’un prix modéré, les propriétaires du Royal Victoria hotel font d’excellentes affaires.

Autour de ce point central gravite tout le commerce de détail de Nassau, se groupent les oisifs en quête de nouvelles, les bateliers et les cochers en quête de cliens. Sur la place qui fait face à l’hôtel, à l’ombre des ceibas séculaires dont les racines rampent au-dessus du sol, formant des bancs naturels, circulent ou reposent, dans de coquettes attitudes, les mulâtresses sveltes, aux fines attaches, aux œillades engageantes, beautés peu farouches, vendeuses de fleurs naturelles et aussi de fleurs artificielles faites de menus coquillages artistement groupés. Pour le voyageur débarqué d’Europe ou des États-Unis, Nassau est bien la porte du monde tropical qui s’étend plus au sud, de Cuba, de Saint-Domingue, de la Jamaïque ; cette ville personnifie le printemps perpétuel, avant-garde de l’été torride que ne tempèrent plus les brises de l’Atlantique.

Mais, ni cette végétation luxuriante, ni cette population de descendance africaine, ni le pavillon anglais qui flotte sur les Bahama, ne masquent aux yeux de l’observateur la réalité des faits : la prépondérance, ostensible et visible, des États-Unis. Ici, au seuil d’accès de la Méditerranée américaine, l’influence de la grande république se révèle, l’ombre qu’elle projette s’étend. On devine que si ces terres ne lui appartiennent pas, elles sont siennes de par les intérêts, les capitaux engagés, le commerce maritime, les colons, et que la suprématie de l’Angleterre n’est déjà plus que nominale. Ce que nous notons ici, nous le constaterons mieux encore de l’autre côté du canal de Santarem, dans la « perle des Antilles, » à Cuba, à Saint-Domingue, plus bas encore, à la Jamaïque. Si, par le fait de la distance, les Petites Antilles échappent encore à cette influence, on peut, sans crainte d’erreur, affirmer que la moitié, et la plus considérable du monde antilien, gravite dans la sphère des États-Unis et que la suzeraineté de l’Angleterre et de l’Espagne n’y sera bientôt plus qu’un mot sonore et vide.

Est-ce à dire que ces îles deviendront américaines, qu’elles sont appelées à constituer, dans un avenir prochain, des États nouveaux formant partie intégrante de la grande fédération ? Nous ne le