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roche, on l’effrite et on la pulvérise ; dans ce sol ainsi constitué, tout prospère. Sur la roche, perforée à l’aide de leviers, creusée à coups de pic, le nègre plante une noix de coco ; en peu d’années l’arbre a crû et, selon le dicton populaire, fournit une noix pour chaque jour de l’année. Cette même roche, facile à travailler, se découpe en blocs de toute taille ; on en construit des maisons d’autant plus durables qu’exposée à l’air, la pierre durcit. »

Sur ce sol, poussière de coraux, qu’arrosent des pluies abondantes, prospèrent le palmier, le bananier, l’oranger et le citronnier, le tamarinier, l’arbre à pain et le cocotier, cent autres variétés d’arbres et de plantes tropicales. L’air est embaumé des parfums les plus pénétrans, car ici aussi les fleurs abondent, fleurs aux couleurs infiniment nuancées, aux formes infiniment capricieuses. Mais ici, surtout, se précise aux yeux du voyageur l’évolution que nous avons signalée plus haut, le réveil commercial, le mouvement et la vie qui succèdent à un long engourdissement et dont, plus au sud, dans les Grandes comme dans certaines des Petites-Antilles, nous noterons les manifestations plus énergiques encore.

Ce n’est pas à l’Angleterre, suzeraine des Bahama, qu’en est due l’initiative, mais bien aux États-Unis. Ce sont eux qui ont donné le branle, ici comme à Cuba, comme à Saint-Domingue où ils prennent pied, comme partout où abordent leurs hardis pionniers. Dans ce monde insulaire sur lequel ils débordent, ainsi que dans les trois Amériques, ils représentent le facteur actif, industrieux et ingénieux, hardi et calculateur. Ils sèment l’or et font germer la vie ; à leur contact, semble-t-il, tout s’éveille, l’homme et la terre ; sous leur impulsion, l’industrie naît, les cultures s’étendent, les plantations se multiplient. Ils sont le levain qui fait fermenter la pâte inerte. Ils achèvent l’œuvre commencée et la mènent à terme.

L’Angleterre a fait ici la sienne. Elle a pris possession des Bahama, ainsi qu’elle fait partout où un point de stratégie navale s’offre à elle. Celui-ci était de premier ordre ; il commandait l’accès des Antilles, de la mer du Mexique, du détroit de la Floride. Charles II reconnaissant en fit don à Monk, promu duc d’Albemarle, et qui lui rendait le trône d’Angleterre. Monk ne visita jamais son apanage, et le sort des gouverneurs successivement envoyés dans ce nid de pirates n’était pas pour l’encourager à s’y rendre. Le premier de ces gouverneurs, Collingworth, fut déporté à la Jamaïque par ses administrés ; Cadwallader Jones, qui lui succéda, fut par eux jeté en prison ; quant au troisième, Clarke, impatientés de l’entêtement de l’Angleterre à vouloir se mêler de leurs affaires, ils le brûlèrent tout vivant. Cela lait, ils se