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ce fut pour en consacrer une autre, pour identifier ces îles avec la terre mystérieuse d’Antilia qui figurait sur les cartes et les portulans du moyen âge, terre fantôme que la légende plaçait par-delà les flots de l’Atlantique, qui reculait à mesure que l’on avançait, et qui n’était peut-être que le grand continent américain où le fils d’Éric le Rouge aborda vers l’an 1000. Ce nom d’Antilles a prévalu dans l’usage ; par une heureuse coïncidence, il s’appliquait exactement à ces îles avancées, qui décrivaient une longue ligne au large de l’Amérique centrale. Bien qu’elles ne forment qu’un groupe géographique, l’usage a prévalu de scinder ce groupe en deux parties, les Grandes Antilles : Cuba et les îles adjacentes, la Jamaïque, Saint-Domingue et Porto-Rico ; les Petites Antilles, ou « îles du Vent » et « îles sous le Vent. » Les « îles du Vent » dessinent, à l’est de Porto-Rico, une longue courbe du nord-est au sud-ouest et se relient aux « îles sous le Vent » qui bordent la côte du Venezuela.

Impatiens de pousser plus avant, les Espagnols, qui les découvrirent, ne s’attardèrent pas sur ces terres, décor pittoresque et riant, au-delà duquel ils s’attendaient à trouver la mystérieuse Cathay, au-delà duquel ils trouvèrent les antiques civilisations et les richesses du Mexique et du Pérou. Quand, plus tard, revenant sur leurs pas, ils s’arrêtèrent dans ces archipels, ce fut pour les dépeupler au profit des mines d’Hispaniola, aujourd’hui Haïti. Pour attirer les Caraïbes dans l’enfer d’où ils ne devaient jamais revenir, ils spéculèrent sur les naïves croyances de ces indigènes, convaincus qu’après la mort ils revivaient plus heureux dans des îles lointaines où le travail était inconnu, où la terre, d’elle-même, produisait en abondance fruits, fleurs, et poissons exquis. Ces îles, leur dirent les Espagnols, ils les connaissaient ; les ancêtres des Caraïbes y vivaient dans l’abondance et la paix, ils pouvaient les y conduire, ils s’offraient à le faire, et ils les transportèrent à Hispaniola où, courbés sous le fouet, ils moururent à la peine, non sans avoir enrichi leurs maîtres. D’autres, emmenés sur les côtes de l’Amérique du Sud, défrichèrent les plantations ; d’autres encore, plongeurs des Lucayes, durent exploiter les côtes perlières de Cumana. Sur ce sol dépeuplé où restaient seuls les femmes et les enfans, on importa des esclaves d’Afrique, on transporta des Indiens d’Amérique, on attira des indigènes des Açores, des Européens nécessiteux. Ainsi qu’en un vaste laboratoire d’expériences de croisemens humains, les races les plus diverses se superposèrent et se juxtaposèrent au gré du hasard ou des caprices de maîtres exigeans, le type le plus résistant et le plus apte survivant, se multipliant et absorbant les autres. Ce fut le noir, de beaucoup aujourd’hui