Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/940

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et enlève toutes frissonnantes. Les hirondelles de rivage s’envolent en avant, se posent, repartent et dans le calme répandu sur la terre, sur la mer et dans l’air, sous le soleil flamboyant, on se sent imprégné d’un peu de la vie intense que dégage la nature dans son éternel et silencieux travail.

À gauche, immédiatement contre la plage, à trente ou quarante mètres de distance, le plan uni du sable se redresse brusquement en un talus, au sommet duquel croissent les pins. C’est la dune. Celle-ci augmente de hauteur à mesure qu’on s’avance du côté de l’intérieur. On est devant la place où se trouvait jadis la batterie du Pilat, et à quelques centaines de mètres au-delà, la dune, entaillée à pic, atteint sa plus grande élévation, à mi-chemin entre Moulleau et le sémaphore, faisant face au phare du cap Ferret, de chaque côté des passes. On est à la dune de la Grave, la Grande Dune, ainsi qu’on la nomme d’ordinaire.

L’endroit où l’on peut le mieux se rendre compte de la genèse des dunes, à son début, est la plage de l’Océan. On s’embarque à Arcachon, au débarcadère situé devant la station zoologique et océanographique, sur l’un des deux bateaux à vapeur qui, toutes les heures, se rendent soit au cap Ferret, soit au phare. Une demi-heure après, on est arrivé. On monte dans un tramway, lequel, en un quart d’heure, à travers la forêt clairsemée, sur un sol de sable, tiré par un brave cheval qui ne paie pas de mine, mais gagne courageusement sa provende, car la besogne est rude, vous emporte cahin caha, sur des rails mal soutenus par des traverses ensablées, jusqu’à la plage de l’Océan.

Le véritable promeneur possède le dilettantisme des impressions qu’il ressent ; il comprend les infinies délicatesses du spectacle changeant que la marche amène devant ses yeux et que connaissait si bien J.-J. Rousseau, le promeneur solitaire. À mon avis, on doit choisir une journée de beau soleil pour aller à pied, fût-ce au prix d’un peu de fatigue, à la dune de la Grave. Il est préférable, au contraire, de se rendre à l’Océan par un temps gris, alors que de lourdes nuées couvrent le sol sans cependant le toucher, de sorte que la vue s’étend au loin dans le sens horizontal et que les profondeurs s’exagèrent de tout ce qui manque aux hauteurs. À la Grave, la nature chante en majeur ; à l’Océan, la grande symphonie des choses se fait en mineur. Le tramway s’arrête, on gravit la colline de sable élevée à peine d’une dizaine de mètres, on parvient sur la crête et l’on regarde.

Sous les pieds, du sable semé de touffes de gourbet, de jonc marin, herbe dure, en longues tiges rondes qui s’agitent, échevelées, au souffle du vent ; puis après un léger ressaut, la plage unie, se continuant à droite et à gauche, toujours pareille jusqu’aux deux