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haute érudition[1], il n’est pas possible que les cinq ou six millions de Gaulois qui vivaient dans le pays au moment de la conquête de César aient tellement perdu leur idiome qu’il n’en reste aucune trace. L’aristocratie seule fut prompte à adopter les mœurs et la langue du vainqueur, qui sut merveilleusement d’ailleurs provoquer cette assimilation. Le reste, la population des campagnes, conserva son idiome dérivé du grec. Les deux tiers au moins du français se refuseraient, d’après le savant auteur, à descendre du latin, et les mots grecs, ainsi que l’avaient remarqué Henri Estienne dès le XVIe siècle et Ampère en 1839, y sont d’autant plus nombreux que le français littéraire est plus ancien. C’est principalement dans les patois qu’on les retrouve. Les quatre premières lettres de l’alphabet, à elles seules, donnent à l’abbé Espagnolle trois mille mots d’origine grecque, et dans le français du XIIe siècle ; on compte plus de deux mille mots de source dorienne.

Les environs du bassin d’Arcachon sont la localité classique d’un phénomène géologique fort intéressant. Nulle part ailleurs les dunes maritimes ne l’emportent en beauté et en perfection, du moins en Europe, car les plus élevées se trouvent sur la côte atlantique du Sahara. L’endroit est éloigné, malsain à une foule de points de vue ; les voyages géologiques ou autres y sont difficiles, il y a, par conséquent, avantage à étudier les dunes près d’Arcachon.

Pour s’y rendre, on traverse la ville d’hiver, on entre en forêt et une excellente route, qui passe devant le sanatorium où des enfans scrofuleux viennent demander la santé aux effluves balsamiques des pins, conduit au village de Moulleau, composé de chalets dispersés le long de la plage ou cachés dans la verdure. Le village ne présente aucune particularité saillante ; c’est un petit Arcachon.

On suit alors la plage. La marche dans le sable sec est fatigante, mais lorsque la marée est basse, on profite de l’estran affermi par l’eau qui l’imbibe encore. La promenade est délicieuse. On ne rencontre personne, premier charme, et rien ne risque de troubler les pensées auxquelles on est en droit de se livrer. Le bruit monotone de la mer, dont les ondulations viennent mourir sur la grève, berce l’esprit et l’on n’est guère rappelé à soi que lorsqu’une vaguelette un peu plus forte, capricieuse comme la mer qui l’a produite, dépasse les autres, court jusqu’à vos pieds et recule épuisée de son effort, en laissant sur le sable, qui l’absorbe rapidement, une bordure de bulles diaprées des nuances de l’arc-en-ciel qui persistent un instant, mais que bientôt le vent fait éclater

  1. L’Origine du français, par l’abbé J. Espagaolle, 2 vol. Paris et Leipzig ; Ch. Delagrave, 1886-1888.