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que la méthode présentait de réels inconvéniens : on casse beaucoup de tuiles qui, par conséquent, deviennent inutilisables à nouveau et on blesse beaucoup d’huîtres qui ne survivent pas au détroquage. Afin d’y obvier, on a imaginé d’enduire les tuiles, avant de les immerger et, par conséquent, avant que les larves ne s’y fixent, d’une couche de mortier fait de sable et de chaux grasse, assez résistant pour offrir un appui solide au naissain et assez fragile pour que, au détroquage, elle se détache aisément à l’aide d’une raclette. À l’époque où s’exécute le travail, la plage est couverte de parqueurs, hommes et femmes, debout devant un établi, grattant les tuiles, détachant les huîtres qu’on dépose dans des paniers, tandis qu’on met en tas les tuiles bien nettoyées et prêtes à être employées pour la prochaine campagne.

L’huître n’a plus besoin maintenant que de soins assidus. On la place dans des ambulances, caisses en bois plates dont le fond est fermé par une toile métallique ; on la transporte dans des claires, parcs installés sur les crassats, couverts seulement d’une couche d’eau peu épaisse, à marée basse, ce qui permet aux parqueurs, chaussés s’il y a lieu de leurs planchettes, de les soigner. Les claires sont entourées d’un rebord en argile permettant de retenir l’eau au cas où la marée descendrait trop bas et risquerait de laisser le mollusque à sec. L’animal ne souffre pas trop de cette émersion momentanée : il ferme sa coquille et prend patience, mais pendant ce temps il ne mange pas et par suite n’engraisse pas. Les murettes sont garnies de brandes, fagots de branches de bruyères qui empêchent le passage des crabes et par des rameaux de pins, plantés verticalement qui arrêtent les poissons. La pauvre huître, comme tout ce qui est honnête et bon, a de nombreux ennemis ; des poissons, des squales, la vieille, le rousseau, les tères, raies de couleur grise, chauves-souris de la mer, la broient entre leurs puissantes mâchoires ; des coquillages, un bigorneau ou Murex, le courmaillot ou Nassa, percent sa coquille de leur langue armée de dentelures comme une lime, introduisent leur trompe par le trou et se nourrissent de sa chair. Quand l’huître blessée n’a plus la force de maintenir ses valves fermées et s’entr’ouvre, l’étoile de mer qui en est friande arrive, le crabe accourt, et ils ont bientôt fini de la dévorer. Avant même d’atteindre l’état adulte, le naissain a dû échapper à mille chances de destruction, à l’ensevelissement dans la vase, au transport en haute mer. Par bonheur, l’animal est fécond, chacun d’eux donne naissance à un ou deux millions de larves et si l’homme ne commet pas trop de fautes, volontaires ou involontaires, par avidité, paresse ou ignorance, la race n’est pas près de finir.