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retiennent plus les cœurs. Ils ont encore un peu la curiosité du passé. Mais l’amour profond qui attachait les pères aux murs des vieilles cités, aux rues familières, à la maison de famille, s’en va diminuant chez les fils d’aujourd’hui. Nos âmes se sont répandues par le monde. Elles ne reviendront plus au nid. Elles le laisseront tomber avec un soupir, sans le bien défendre, parce qu’elles l’ont quitté, et que la douceur du chez-soi ne se retrouve plus entière après un seul adieu. Que fera-t-on de ces cloîtres où la jeunesse riait ou rêvait, la jeunesse maintenant ensevelie, oubliée, dont les rêves ni les rires ne renaîtront jamais ? Mettra-t-on des soldats à dormir où vos maîtres enseignaient la science de votre temps ? Les couvens ne suffisent plus à les loger. Peut-être sera-ce la ruine pure et simple. Et cela vaudrait mieux. Il y a du respect à laisser mourir les choses saintes.

Pourtant un ami m’a dit : « Les gouvernemens autoritaires ont de grands défauts, mais ils ont le pouvoir de réformer. Les gouvernemens parlementaires dépendent des députés, qui dépendent de leurs électeurs, qui sont eux-mêmes menés par leurs passions locales et par leurs intérêts. Vous verrez que nous ne supprimerons ni les universités, ni les sous-préfectures, ni les écoles d’ingénieurs inutiles. »

Il a peut-être raison, pour un temps.


— J’admire l’âme, la pitié singulière et touchante que les Italiens ont su enfermer dans ces quatre lignes, gravées sur un palais de Padoue : « Fazioni e vendette, — qui trassero Dante, — 1306, — Dai Carrara da Giotto, — Ebbe men duro esilio. — Les factions et les vengeances, — traînèrent ici Dante, — en 1306, — Grâce aux Carrara de Giotto, — il eut un moins rude exil. »


— Je sors d’un grand dîner. Parmi les convives, deux officiers, des anciens, qui ont fait campagne avec les Français. On a parlé de la France avec une sorte de regret poli, où il y avait plus de souvenir poétique que d’amour, plus de retour vers la jeunesse que d’élan de cœur vers la compagne d’autrefois. Une conversation de divorcé, que son second mariage n’a pas comblé. On m’a su gré de ne pas insister. D’une façon générale, si les Italiens disent rarement du mal de leur pays, ils n’admettent pas que vous en disiez ; s’ils font allusion aux services rendus par la France, vous les gênez en appuyant ; s’ils se lancent, comme cela peut arriver, dans un éloge excessif de leur pays, ils vous prennent pour un imbécile si vous les croyez. Quand un militaire vous dit : « La France nous a été d’un grand secours à Solférino ! » répondez : « Comme vous avez