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quoique le froment ne vaille, dans le delta, que 12 francs l’hectolitre, c’est que leur rendement est très supérieur au nôtre.

Ici, nous sommes parvenus à tirer parti de tous nos fonds, quelque mauvais ou médiocres qu’ils puissent être. La spéculation agraire a enrichi depuis sept cents ans de nombreuses générations de paysans, devenus peu à peu propriétaires ; et cette richesse même, représentée par le fermage, constitue notre infériorité vis-à-vis des contrées encore vierges. Au Japon, la terre à riz vaut actuellement 2,200 francs et les autres 700 francs l’hectare, mais les forêts et les terres incultes ne valent que 12 francs. Dans la République Argentine, le sol coûte 1,000 francs l’hectare aux environs de Buenos-Ayres ; il descend pour les régions tout à fait en friche jusqu’à 10 francs. En Californie, la terre se vendait 19 francs l’hectare, il y a vingt ans ; le gouvernement des États-Unis pouvait céder, à des conditions beaucoup meilleures, les immenses étendues qu’il avait achetées (1808) à la tribu des Osages, à raison de 5,000 francs de rente pour 20 millions d’hectares, ou celles que lui avait livrées la tribu des Quapaws : 8 millions d’hectares pour 20,000 francs de rente ; soit, dans le premier cas, 0 fr. 01 par an pour 40 hectares.

De ce que la valeur des labours, des prés, des vignes et des bois de la France actuelle soit le double, ou environ, de ce qu’elle était il y a cent ans, il ne s’ensuit pas du tout que le revenu agricole de notre patrie, pris en masse, n’ait fait que doubler d’une date à l’autre. On évalue communément aujourd’hui ce revenu net de la propriété rurale à 2 milliards 400 millions, ce qui correspond effectivement à un peu moins de 50 francs l’hectare. Si le revenu de 26 francs, que nous avons trouvé pour la terre labourable en 1790, s’appliquait à la surface entière du royaume de Louis XVI, nous obtiendrions un chiffre total de 1,300 millions de francs, qui serait de beaucoup au-dessus de la vérité.

Le chiffre de 1,200 millions de livres, — correspondant à 1,140 millions de francs, — donné par Lavoisier en 1788, est lui-même certainement exagéré. La première enquête, faite en 1814 par le baron Louis, pour arriver à une assiette meilleure de la contribution foncière, attribuait à la masse des terrains non bâtis un revenu net de 1,354 millions. Il est fort possible que, de 1788 à 1814, la propriété française ait augmenté d’un tiers, et fort probable qu’elle ne rapportait pas plus d’un milliard en 1790.

Nous avons évalué son revenu à 500 millions en 1576-1600 ; il s’éleva sans doute à 700 millions en 1675, sous Colbert, pour redescendre dans les dernières années de Louis XIV à un chiffre probablement très inférieur à celui qu’il avait atteint sous Henri III ;